INTERVENTION
- Intervenante du groupe Tavini Huiraatira : Mme Éliane TEVAHITUA
- Rapport nº 42 – 2013 du 24/05/2013
- Temps de parole : 11 mn
- Consigne de vote : DEFAVORABLE
DOCUMENTS
Correspondance
Intervention
Questions écrites
SESSION ADMINISTRATIVE – 4ÈME SÉANCE DU 30/05/2013
Rapport relatif à une proposition de résolution demandant à ce que le scrutin d’autodétermination prévu à l’article 53 de la Constitution soit mis en oeuvre
Monsieur le président.
Monsieur le président, à travers les deux rapports que vous venez d’inscrire à notre ordre du jour, vous nous consultez aujourd’hui sur un sujet, certes d’actualité, mais ô combien déterminant quant à l’avenir de notre pays.
Pourtant, lors du discours d’intronisation de monsieur le Président de la Polynésie française, j’a i cru comprendre que, face à l’extrême détresse des Polynésiens, les priorités d’actions du gouvernement iraient plutôt à la résorption du chômage, au rétablissement du programme de logement social, à la relance de la commande publique… (M. Oscar Temaru : « Eh dites, monsieur le Président, veuillez nous écouter, quand même ! ») ainsi qu’à l’équilibre et au redressement de nos finances… (Réactions sur les bancs de l’UPLD) (Le président : « Continuez ! Continuez ! »)
C’est vrai aussi que, très rapidement après, c’est-à-dire pas plus tard que la semaine dernière, au sein même de notre hémicycle, ces propos furent soudainement des plus touffus, puisque ce même Président annonçait en définitif que, pour, répondre à cette extrême détresse, il fallait finalement patienter encore deux ansDonc, en attendant de voir s’écouler ces deux années, au terme desquelles le miel et le lait couleront à nouveau en abondance, tel un écran de fumée, lançons l’idée d’un référendum pour détourner l’attention de ses électeurs en mal de patience.
Pourquoi pas ? Après tout, tous les moyens sont bons, surtout lorsque la fin justifie les moyens. Monsieur le président, d’entrée, permettez-moi de vous dire que ces deux propositions de résolution à l’ordre du jour révèlent un manque de respect remarquable, non seulement envers l’Organisation des Nations Unies (Réactions sur les bancs du TAHOERA A HUIRAATIRA) mais également envers le peuple Polynésien tout entier.
Elle révèle également la méconnaissance de l’histoire, de l’Histoire de notre peuple Polynésien, de celle du peuple Kanak auquel il est lié et de leurs relations avec la France et l’ONU — ce doit être volontairement que les auteurs de ces propositions essaient de brouiller les esprits et les mémoires afin que notre peuple sombre dans l’amnésie qui a rendu de si grands services au système colonial.
En 1946, la France reconnaît elle-même, sans aucune consultation du peuple Polynésien —notons-le—, que la Polynésie française, comme la Nouvelle-Calédonie d’ailleurs, sont non autonomes et colonisées.
Ainsi, la Polynésie française est inscrite sur la fameuse liste Onusienne pour la première fois. Mais, dès 1947, la France ne donne plus d’informations à l’ONU.
Puis, en 1963, la Polynésie française, comme la NouvelleCalédonie, disparaissent discrètement de la liste sans aucune consultation des peuples intéressés, encore une fois. Pourquoi cette rétention d’informations puis ces retraits discrétionnaires de la part de l’État français ? Pour cacher la vérité et continuer à agir sans être embêtée par l’ONU.
C’est pour mieux asseoir l’injustice coloniale et dépouiller le Polynésien de ce qu’il a de plus précieux : sa terre.
Le peuple Arabe est jugé en langue arabe, le peuple Japonais en langue japonaise.
Et pourquoi aujourd’hui, le Polynésien est jugé dans une langue qu’il ne comprend pas ?
C’est pour cacher la vérité, aussi, sur les territoires qu’il traite, comme des colonies afin d’en retirer le maximum dans son intérêt jugé supérieur, pour en retirer le maximum, en termes de ressources naturelles ou d’intérêts stratégiques, le nickel pour la Nouvelle-Calédonie, le phosphate puis les essais nucléaires pour la Polynésie française, et demain, les « terres rares » et les immenses gisements de métaux précieux qui tapissent nos fonds sous-marins.
C’était sans compter sur les mouvements nationaux de ces pays.
Grâce à une minorité élue — nous avons bien dit « une minorité » —, le FLNKS, Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste et son leader Jean-Marie Tjibaou, réussissent à faire réinscrire la Nouvelle-Calédonie en décembre 1986 sur la liste Onusienne.
Ceci, malgré les pressions tout d’abord de l’État français, le RPR de Jacques Chirac affilié avec le courant anti-indépendantiste de Jacques Lafieur, mais également les pressions de son secrétaire d’État en charge du Pacifique Sud de 1986 à 1988, monsieur Gaston Flosse, ayant parcouru le Pacifique afin de tenter de dissuader les États de soutenir cette réinscription.
En vain, la majorité des États de l’ONU ne se laissent pas tromper.
Pour contrer cette réinscription, l’État français organise alors un simulacre de consultations d’autodétermination en septembre 1987 avec, pour seule condition pour pouvoir y participer, une durée de trois ans de résidence en Nouvelle-Calédonie.
Le FLNKS dénonce ce référendum local qui ne constitue pas un référendum d’autodétermination arbitré par l’ONU mais un plébiscite colonial, et boycotte ces élections. L’accès à la pleine souveraineté est alors refusé par ceux qui iront voter. Il faudra alors, hélas, une période de quasi guerre civile puis les 21 morts lors de la prise d’otages d’Ouvéa en 1988 pour que l’État français admette, enfin !, la nécessité de reconnaître et d’écouter le peuple Kanak dans toutes ses composantes, y compris les membres du FLNKS, et reconnaisse toute la portée et la justesse de la réinscription de ce territoire sur la liste des pays non autonomes à décoloniser.
Les négociations entre la Kanaky et l’État français, désormais re-nommée « puissance administrante » par le droit international, sous les auspices apaisantes et vigilantes de l’ONU, ont abouti à divers accords permettant :
1. L’information éclairée du peuple Kanak et Calédonien ;
2. Toujours plus de compétences pour la Nouvelle-Calédonie ;
3. L’organisation prochaine, avant 2018, d’un véritable référendum sur l’accession à la pleine souveraineté.
Ce référendum sera réservé aux Kanaks, c’est-à-dire Mélanésiens, peuple originaire de ce pays et aux Calédoniens, victimes de l’histoire, pouvant justifier d’une durée de 20 ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie à la date de la consultation.
L’État français, mais également la Cour européenne des droits de l’Homme ont reconnu la légalité de cette restriction électorale.
C’est ce corps électoral dit « glissant » qui fut accordé à défaut du corps électoral « gelé » ne comprenant que les seules personnes présentes en Nouvelle-Calédonie avant le 6 novembre 1998, que souhaitait originellement le FLNKS.
Cette solution électorale est d’ailleurs le résultat d’une promesse qui a été faite au FLNKS, afin de ramener la paix, par le Président de la République Jacques Chirac, le mentor de monsieur Flosse.
Le refus de ce dernier, exprimé récemment à travers les médias, de cette restriction électorale, pourrait alors sembler étonnant, sauf à comprendre que c’est peut-être auprès des débarqués depuis six mois dans notre pays qu’il compte puiser largement ses votes. Voilà donc ce qu’est la réinscription sur la liste de l’ONU.
Premièrement, c’est tout d’abord la reconnaissance d’un peuple, sa langue, sa culture, ses traditions, son histoire.
Deuxièmement, c’est accompagner ce peuple dans ses négociations avec un État de tutelle dans sa quête d’émancipation, de décolonisation.
Troisièmement, c’est, enfin, donner le choix à ce peuple, préalablement éclairé, sur les enjeux, par un débat contradictoire, par le biais d’un référendum d’autodétermination entre quatre possibilités :
l’intégration, c’est-à-dire la départementalisation — l’intégration à la France — ;
deuxième possibilité, la libre association; t
troisième possibilité, l’indépendance ;
et enfin, quatrième possibilité, le statu quo, c’est-à-dire garder le régime politique en vigueur lorsque le pays est enfin décolonisé.
Donc, Peuple, Décolonisation puis Référendum. Avant d’être autonome, il faut être décolonisé.
Or, nous sommes toujours colonisés, donc, forcément, non autonomes.
Le jour où nous serons décolonisés et autonomes, alors, un référendum d’autodétermination sera possible, mais pas le référendum que vous proposez.
Donc, dans votre proposition demandant à ce que le scrutin d’autodétermination prévu à l’article 53 de la Constitution soit mis en œuvre, vous dévoilez une nouvelle stratégie de tromperie.
Nous refusons un simulacre de référendum organisé par la France unilatéralement, sans la surveillance de l’ONU, comme ça a été le cas en Nouvelle-Calédonie en 1987.
Tout d’abord, l’article 53 alinéa 3 de la Constitution française énonce : nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des peuples, des populations intéressées.
La rédaction de cet article est trop vague et imprécise pour permettre l’exercice juste et équitable par le peuple Polynésien d’un droit à son autodétermination tel que le recommande la résolution L56 adoptée le 17 mai 2013 par l’A G de l’ONU.
En effet, l’article 53 alinéa 3 de la Constitution française ne spécifie ni l’auteur du droit d’initiative référendaire, ni l’auteur de la question référendaire, ni le processus législatif et l’acte d’homologation des résultats du référendum, ni le corps électoral.
C’est pour cette raison qu’une proposition de loi constitutionnelle n° 591 a été déposée par le sénateur polynésien Richard Tuheiava sur le bureau du Sénat pour la session 2012-2013 tendant à modifier la Constitution française en vue d’apporter des précisions nécessaires à cet article 53 alinéa 3.
Tant que cet article 53 alinéa 3 ne sera pas modifié correctement pour être plus précis dans le processus référendaire, son mode opératoire et la faculté d’apporter des aménagements exceptionnels au corps électoral, il n’est absolument pas souhaitable qu’un référendum d’autodétermination puisse se dérouler en Polynésie française, sauf à méconnaître les critères de justice et d’équité contenus dans la résolution L56 du 17 mai 2013.
Le débat concernant la composition du corps électoral polynésien doit avoir lieu. Ce n’est nullement une lubie d’un leader indépendantiste, c’est un droit reconnu au peuple par le droit européen et international, autant que par le droit français pour la Nouvelle-Calédonie.
Le gel du corps électoral pour les consultations locales dans le cadre du processus d’autodétermination n’est pas constitutif d’une discrimination, il s’agit de protéger un peuple et de lui permettre de choisir lui-même son avenir.
Jamais l’URLD n’a proposé de réduire le corps électoral aux purs Polynésiens, comme tente de le propager fallacieusement monsieur Flosse.
Une goutte de sang polynésien suffît pour l’être par filiation. La question ne se pose que pour ceux qui se sont installés en Polynésie française.
Un corps électoral limité à ceux s’étant installés en Polynésie avant l’installation du CEP ?
À ceux justifiant de 20 ans de résidence ?
Les articles 18 et 19 de la loi organique portant statut de la Polynésie française consacrés à la protection de l’emploi local et du patrimoine foncier énoncent bien déjà une durée suffisante de résidence.
Un débat serein doit être engagé. Il faut enlever les œillères qui réduisent notre champ de vision et voir loin, voir ce qui se passe ailleurs dans le monde avant de trouver notre propre solution.
La question du corps électoral d’un référendum d’autodétermination est légitime et primordiale. Quant à l’organisation du référendum, un encadrement par le seul État français est inquiétant quand on sait les dérives clientélistes tolérées durant de nombreuses élections en Polynésie française.
Je cite : « les promesses d’aide sociale », « les billets échangés », « les cartons de cuisses de poulet », « parpaings », « tôles », etc., ainsi que des campagnes calomnieuses.
La co-surveillance de l’ONU est primordiale afin que tout référendum d’autodétermination se déroule dans la sérénité et l’impartialité.
Il est auparavant impératif, dans le cadre de la procédure de décolonisation et pour en finir avec votre économie de comptoir, qu’une stratégie de développement équitable et durable puisse se mettre en place le plus rapidement possible dans les cinq archipels de notre pays.
En décider autrement et anticiper dans la précipitation d’un éventuel référendum d’autodétermination revient, d’une part, à nier l’existence même du phénomène de colonisation qu’a subi le peuple Polynésien, reconnu par l’ONU à travers la résolution L56 adoptée le 17 mais 2013, et, d’autre part, à violer le droit i-na-lié-nable du peuple Polynésien à son autodétermination juste et équitable.
C’est pourquoi, nous nous opposons au principe de votre proposition qui nous semble bien trop pressée pour être honnête. Occupez-vous plutôt des affaires du pays que vous mettez au rang des priorités absolues dans vos promesses électorales, l’emploi des chômeurs et la stimulation de l’économie.
Après avoir décrié l’action en vue de la réinscription à New York comme non prioritaire, voilà qu’elle le devient, alors même, et vous ne pouvez le nier, que son adoption a été soutenue par une écrasante majorité des pays membres, certainement, pour détourner l’attention des citoyens polynésiens de votre incapacité à tenir vos promesses électorales.
L’État français également a certainement de son côté des dossiers bien plus urgents à traiter. Et j’ai fini.
(Applaudissements sur les bancs de l’UPLD.)
Mme Éliane TEVAHITUA