INTERVENTION
- Intervenante du groupe Tavini Huiraatira : Mme Éliane TEVAHITUA
- Rapport n° 117-2020 du 20/11/2020
- Lettre n° 7254/PR du 2/11/2020
- Temps de parole : 10 mn
- Consigne de vote : FAVORABLE
DOCUMENTS
1ere SÉANCE DE LA COMMISSION PERMANENTE DU 11 JANVIER 2021
Rapport relatif à un projet de délibération portant approbation du compte financier de l’exercice 2019 de l’Institut de la statistique de la Polynésie française et affectation de son résultat,
Seul le prononcé fait foi
Chers collègues,
Nous sommes saisis d’un projet de délibération portant approbation du compte financier de l’exercice 2019 de l’Institut de la statistique de la Polynésie française ; lequel fut examiné le 12 novembre 2020 par les élus membres de la commission de l’économie, des finances, du budget et de la fonction publique.
Depuis 44 ans, cet établissement à caractère administratif placé sous la tutelle du ministère de l’économie a pour missions de collecter et de produire des statistiques publiques pour le compte du Pays, et celui de l’État en matière d’état civil, de recensement de la population et de tenue de répertoires électoral et national d’identification des personnes physiques.
Outre le récapitulatif de ses travaux en 2019 telles que les enquêtes classiques Emploi, Famille et les missions régaliennes d’immatriculation aux répertoires, le rapport de présentation du compte financier de l’ISPF s’est focalisé sur l’étude « La population en Polynésie française à horizon 2030 » publiée en juillet 2020, afin de justifier de son objectivité.
Cette étude prospective annonce dans les prochaines années le vieillissement croissant de la population polynésienne qui devrait compter en 2030, 56 800 personnes âgées de plus de 60 ans sur une population totale estimée à 284 000 habitants ainsi que la grande dépendance de ces seniors vis-à-vis de la classe d’âge des 15-59 ans.
Pour « remédier au vieillissement de la population polynésienne et à la difficulté à renouveler les générations »,elle propose 3 solutions : la pratique d’une politique nataliste qui mettra beaucoup de temps à produire ses effets, l’incitation des jeunes à revenir s’établir au fenua et l’incitation d’autres personnes et familles, en provenance de pays divers, à s’installer en Polynésie française. »
La première solution est de favoriser une politique nataliste. Mais les premiers effets d’une telle politique à produire de la main-d’œuvre qualifiée sont très lents car il faudra attendre un laps de temps de 20-30 ans pour voir émerger une nouvelle génération de travailleurs polynésiens à même d’équilibrer nos comptes sociaux et garantir le versement des pensions de retraite des séniors.
De plus, aujourd’hui aucune polynésienne en âge de procréer sensée ne souhaiterait sauf exception avoir 5,10,15 enfants comme à l’époque de ses parents ou grands-parents, en raison des conditions de vie devenues difficiles et de la précarité de l’emploi qui concerne quasi exclusivement de jeunes polynésiens. Cette première solution est donc à écarter.
La deuxième solution évoquée, est d’inciter les jeunes polynésiens à revenir s’établir dans leur pays. C’est un vœu pieux car la discrimination positive en faveur de nos diplômés n’existe pas réellement dans les faits. Sauf exceptions, il n’y a pratiquement plus de travail pour eux dans leur pays car quasiment tous les postes à responsabilités dans les secteurs public et privé sont occupés, beaucoup le sont par des métropolitains recrutés lorsque les besoins n’ont pu être pourvus à temps par des locaux. Voilà le constat factuel.
Quant à la grande masse des parias du système scolaire, ceux qui sont peu ou pas diplômés, la seule issue, en dehors de vivre d’expédients et de cdd précaires, est de s’enrôler dans les armées pour espérer une situation meilleure. C’est ainsi que chaque année 500 à 600 jeunes polynésiens partent de leur pays pour servir la France sur les champs de bataille étrangers comme au Mali, avec tous les risques que cela comporte.
Par conséquent, si un polynésien accepte volontiers de s’expatrier pour entreprendre des études supérieures, acquérir de l’expérience professionnelle, gagner sa vie, découvrir d’autres pays et d’autres cultures, ce n’est jamais de gaité de cœur qu’il s’installe définitivement ailleurs que dans son pays.
Pour faire revenir les polynésiens expatriés, le Pays devrait pouvoir instituer de nouvelles règles les rendant prioritaires dans tous les emplois disponibles en Polynésie. Mais, elles seraient considérées inconstitutionnelles et implacablement retoquées par la loi française.
Par conséquent, cette solution ne peut être retenue sauf si notre pays accède un jour à sa pleine souveraineté. Dans ce cas, il sera libre de prendre des mesures protectionnistes de l’emploi de ses citoyens comme le ferait n’importe quel autre état de la planète.
La troisième solution proposée par l’ISPF est d’inciter d’autres personnes et familles, en provenance de pays divers, à s’installer en Polynésie française. Il consiste, je cite le directeur, « à faire venir des ressources, de la main-d’oeuvre, des familles, d’ailleurs, de Nouvelle-Calédonie, d’Australie, de Nouvelle-Zélande… et pas forcément métropolitaines ».
En chiffres, cela revient à recourir à une immigration massive de 8 500 nouveaux expatriés chaque année jusqu’en 2030, ce qui portera au total à 102 000 le nombre d’immigrants s’installant dans notre pays pour y trouver un emploi, un logement pour la décennie à venir. Ces immigrants représenteraient in fine 35 % de la population polynésienne.
Là non plus, il ne faut pas se leurrer. La Polynésie n’a pas à craindre un afflux de main-d’œuvre étrangère depuis les pays anglophones de la région, ni depuis la Nouvelle-Calédonie – sauf peut-être ceux qui fuiront l’indépendance de ce pays – mais bien depuis la France. Pour cela, il n’est pas nécessaire d’avoir fait des hautes études universitaires pour en faire le constat. Il suffit d’ouvrir les yeux autour de soi, d’observer dans les entreprises et les administrations ou d’assister aux arrivées à l’aéroport de Faaa.
Par ailleurs, imaginez un instant chers collègues, que le directeur de l’INSEE ou de l’INED annonce aujourd’hui à Paris que pour pallier au vieillissement et à la baisse de natalité de la population française, le gouvernement devra recourir à une immigration de l’ordre de 25 millions d’étrangers sur une décennie. Les réactions de la classe politique de gauche comme de droite seraient unanimes pour condamner de telles allégations.
C’est en cela que les solutions proposées dans cette étude démographique prospective favorisent inéluctablement l’immigration métropolitaine et tendent à faire de notre pays une colonie de peuplement et d’effacement du peuple légitime de ce pays. Le néocolonialisme c’est de refuser d’admettre que ce pays est MA’OHI et qu’il appartient avant tout au peuple MA’OHI. Les polynésiens ne sont et ne seront jamais des français, ainsi que l’inverse.
Pour en revenir à ses missions fondamentales, l’ISPF devrait être un véritable outil au service du Peuple polynésien. Chaque citoyen Ma’ohi devrait pouvoir compter sur des chiffres objectifs, transparents afin de faire des états des lieux sincères sur lesquels baser ses projets personnels. Le Pays a également besoin d’études objectives et adaptées aux problématiques locales, et non pas aux problématiques françaises généralement axées sur la croissance économique.
Pour ne citer que quelques exemples, notre Pays a besoin de comptes économiques de l’éducation, de comptes satellites du tourisme qui englobent les activités périphériques au tourisme comme l’artisanat, d’études sur le marché des transactions immobilières, florissant en ces temps de crise sanitaire mondiale. Notre Pays a besoin d’études sociales solides sur lesquelles baser ses politiques publiques. Nous manquons d’études actualisées sur les sdf, les aides alimentaires, les situations de précarité sociale à commencer par l’absence même momentanée de couverture sociale.
Nous l’avons vu dans cet hémicycle, les rapports accompagnant la grande majorité des projets de Loi du Pays ou de délibérations sont pauvres, parfois totalement inexistants en données chiffrées et officielles. Les études de l’ISPF devraient nourrir les rapports de nos lois, pour que ces dernières soient éclairées et transparentes, afin que nous votions en connaissance de cause. Or ce n’est pas le cas à ce jour.
Pour clore, comme notre représentant en commission et comme chaque année, nous voterons favorablement ce compte financier 2019 de l’ISPF.
Je vous remercie de votre attention. Mauruuru i te faarooraa mai !
Mme Éliane TEVAHITUA