INTERVENTION
- Question orale du Groupe Union pour la démocratie
- à M. Édouard FRITCH, Président de la Polynésie française
- 3e Séance session administrative du 4 juin 2015
- Objet : Remboursement par l’État français des coûts de prise en charge par le régime d’assurance maladie de 21 pathologies considérées comme radio-induites par le décret du 30 avril 2012 modifiant le décret du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires.
Monsieur le Président,
Un document de la CPS recensait les sommes dépensées par la Caisse entre le 1er janvier 1992 et le 31 janvier 2015, correspondant à la prise en charge par notre régime d’assurance maladie des dépenses de santé de 7 489 patients polynésiens dont les pathologies sont susceptibles d’entrer dans la liste des 21 maladies radio-induites reconnues par le décret du 30 avril 2012.
Ces données sont rendues disponibles du fait de l’informatisation des fichiers de la CPS depuis le 1er janvier 1992. Ces dépenses, supportées par la CPS, qu’il s’agisse des frais médicaux et des indemnités journalières des victimes des essais nucléaires depuis 1992, s’élevaient au 31 janvier 2015 à la somme vertigineuse de 54 milliards et demi, 54 milliards et demi qui ont contribué au déséquilibre de nos comptes sociaux.
Chaque année, ces chiffres augmentent encore et encore sans que rien ne puisse enrayer cette dynamique quasi exponentielle.
Ainsi, en 2014, ces dépenses étaient de 47 milliards et concernaient 7017 malades, accusant ainsi une hausse des dépenses de 7 milliards et demi et 472 patients supplémentaires.
Il n’est pas exagéré de penser que cette ascension se poursuive pour atteindre 62 milliards début 2016, 70 milliards début 2017, près de 80 milliards début 2018, etc., sans compter le nombre en constante augmentation de nouveaux malades cancéreux radio-induits.
Cette augmentation des dépenses de santé sera insoutenable pour notre assurance-maladie. Ce document classe les maladies radio-induites selon trois groupes, conformément à la nomenclature internationale établie par l’UNSCEAR.
Il détermine pour chaque groupe le nombre de patients concernés et les coûts de prise en charge par la CPS. Ainsi, le groupe 1 compte 7 cancers dont l’origine est de manière indiscutable radio-induite. La CPS a recensé 4 724 malades polynésiens présentant ces cancers du groupe 1 dont le coût cumulé de prise en charge par notre assurance maladie s’élève à 33 milliards et demi.
Parmi eux,2 180 sont des femmes atteintes de cancers du sein, 1 239 autres patients ont eu un cancer du poumon et 519 autres un cancer de la thyroïde. Le groupe 2 recense 12 cancers pouvant raisonnablement être considérés comme radio-induit.
La CPS recense 2 384 malades polynésiens relevant des cancers du groupe 2 pour un coût cumulé en assurance maladie de près de 17 milliards. Parmi eux, figurent 867 femmes ayant développé un cancer de l’utérus ou des ovaires.
Le groupe 3 prend en compte 2 cancers rares pour lesquels les données scientifiques sont insuffisantes du fait de leur rareté. Il s’agit du myélome multiple et des lymphomes non hodgkiniens. Ils ont pourtant concerné 381 malades polynésiens, un nombre important rapporté à une population de 270 000 habitants.
Le coût cumulé des dépenses est de 4 milliards pour les patients de ce groupe.
Les dangers des radiations nucléaires, la toxicité des doses de rayonnement accumulé dans l’organisme et leurs effets délétères sur la santé humaine sont unanimement et de manière indiscutable reconnus par la communauté scientifique et médicale internationale.
Après avoir nié ces évidences scientifiques pendant des décennies et soutenu mordicus la thèse hygiéniste des essais nucléaires prétendument propres, l’État français a dû consentir, pour ne pas dire se résigner, à reconnaître en partie que l’ensemble de notre pays a bien été exposé aux radiations des 41 bombes nucléaires atmosphériques entre 1966 et 1974.
Car, loin d’être circonscrites aux seuls atolls de Moruroa et Fangataufa, ces retombées radioactives ont affecté directement et de manière répétées les populations de l’ensemble de nos archipels. Pour illustrer mon propos, je vous donnerai quelques données chiffrées : entre 1966 et 1974, l’île de Tahiti et sa population auront été exposées à 39 reprises à des retombées radioactives, 37 pour l’atoll de Tureia, 31 pour l’archipel des Gambier, 26 pour Hiva Oa, 17 pour Bora Bora, 14 pour Raivavae, etc.
De fait, le Polynésien qui résidait en tout point de notre immense pays et n’avait pourtant jamais mis les pieds sur les sites de Moruroa et de Fangataufa, est susceptible de développer des maladies radio-induites.
C’est sans doute pour ces raisons que l’on observe une inflation inquiétante et quasi exponentielle de cas de cancers dans notre pays. Chaque année depuis 2010, 600 cas de cancers supplémentaires sont ainsi recensés par la CPS et les autorités sanitaires.
Fort de ces constats objectifs, le groupe UPLD souhaiterait vous interpeller sur trois points :
1. Quelles mesures comptez-vous prendre pour exhumer des archives papier de la CPS les données statistiques couvrant la période de 1966 à 1991 ? Ces données, une fois traitées, nous permettront de faire enfin la lumière sur le nombre de Polynésiens atteints de maladies radio-induites et sur leur coût réel pour notre collectivité.
2. Quand exigerez-vous de nos services de santé et de recherche qu’ils se mobilisent aux fins d’étudier dans le détail les conséquences sanitaires et environnementales de 30 années d’essais nucléaires, notamment les risques de modification du génome humain et de transmission d’anomalies génétiques aux générations futures ?
3. Enfin, quand aurez-vous le courage d’exiger du seul et unique responsable de cette situation inextricable un dédommagement financier correspondant au remboursement de l’intégralité des dépenses générées par ces maladies radio-induites et que l’État a fait injustement supporter par l’ensemble des Polynésiens ?
Quand exigerez-vous de l’État français le remboursement des prestations en nature et en espèces des frais funéraires et de rapatriement des dépouilles des Polynésiens qui ont payé de leur vie parfois ce lourd tribut nucléaire ?
Les membres de notre assemblée ont, à une très large majorité, adopté une résolution visant à obtenir un juste dédommagement des conséquences sanitaires, économiques et environnementales liées aux essais nucléaires.
Le vote de cette résolution témoigne d’une prise de conscience salutaire et courageuse pour notre population, mais vous devez être également courageux et exiger le principe de renversement de la charge de la preuve.
Que l’on cesse de demander aux victimes du nucléaire de faire la preuve de l’origine radio-induite de leur maladie !
Exigeons de l’État qu’il fasse la démonstration du contraire. Monsieur le président, vous ne pouvez pas servir deux maîtres, votre peuple ou le peuple français, votre pays ou l’État français colonisateur.
Il vous faut choisir votre camp.
Mme Éliane TEVAHITUA