Question écrite au gouvernement
- Question écrite à Monsieur Édouard FRITCH Président de la Polynésie française
- Objet : Conséquences génétiques des expérimentations nucléaires en Polynésie
- Réf. : Etude sur les conséquences des essais nucléaires français dans le Pacifique chez les petits-enfants des vétérans du CEP et des habitants des Tuamotu-Gambier publié par le docteur Christian SUEUR, psychiatre praticien hospitalier, janvier 2018
DOCUMENTS
Monsieur le Président,
Le docteur Christian SUEUR, psychiatre et responsable de l’unité de pédopsychiatrie du centre hospitalier de la Polynésie de 2012 à 2017, a publié en janvier 2018 les conclusions d’un projet de recherche consacré aux « conséquences des essais nucléaires français dans le Pacifique chez les petits-enfants des vétérans du CEP et des habitants des Tuamotu-Gambier ».
Cette étude menée avec le soutien de la DESCEN présidé par feu Bruno BARILLOT, reposait sur l’analyse des données issues des consultations du Dr SUEUR, effectuées auprès d’enfants présentant des troubles envahissants du développement (autisme infantile, syndrome d’Asperger, psychoses infantiles) associés le plus souvent à des malformations congénitales (anomalies de développement du corps humain se traduisant par la présence de plusieurs doigts ou orteils supplémentaires, fusion de plusieurs doigts ou orteils, becs de lièvre, visages étranges, etc.) et à des retards mentaux patents chez des enfants en situation de déficience mentale et de grande souffrance physique.
Dans le cadre de cette étude, le Dr SUEUR a également été amené à constater que ces enfants présentant tout ou partie de ces troubles étaient, dans des proportions inhabituelles, des descendants des vétérans civils ou militaires ainsi que des résidents des atolls de Moruroa, Fangataufa, Tureia, Reao, Rikitea qui ont essuyé les retombées radioactives des tirs nucléaires français.
Il a par ailleurs, dû se résoudre à constater que certains enfants concernés par l’étude présentaient des altérations inhabituelles de leur patrimoine génétique au regard des statistiques officielles internationales. Ces constats posent légitimement la question de la transmission héréditaire de pathologies induites par les effets des radiations ionisantes sur le patrimoine génétique des populations exposées aux retombées radioactives et sur les effets de ces mutations transmises à leur descendance.
Outre ces constats, le rapporteur déplorait notamment :
-l’absence d’études statistiques épidémiologiques sur les relations de causalité entre le développement neuropsychique de l’enfant et l’exposition de ses ascendants aux radiations ionisantes ;
-l’absence d’études génétiques ciblées auprès des populations concernées ;
-l’absence de registre de surveillance des anomalies congénitales et des malformations en Polynésie (enfants sans boîte crânienne, enfants dont les viscères sont situées à l’extérieur, enfants naissant avec les mains palmées, etc.) ;
-l’absence de dispositif de comptage des accidents périnataux (fausse-couches, morts in utero) ;
-l’impossibilité d’accéder aux archives des observations faites par les services de santé des armées dans les Tuamotu ; services qui exerçaient le quasi- monopole médical dans ces îles.
Devant ces constats, Monsieur le Président, je souhaiterais être instruite des actions entreprises par votre gouvernement qui permettraient de faire la lumière sur les conséquences génétiques des expérimentations nucléaires en Polynésie. Notre pays dispose-t-il à ce jour d’un registre exhaustif de surveillance et de comptabilisation des malformations et des accidents périnataux lorsqu’on sait que seulement 20 % des dossiers médicaux du CHPF sont codés et qu’aucun financement n’est prévu à cet effet (cf. plan de santé mentale 2019-2023) ?
Notre pays a-t-il depuis 2018, diligenté des études épidémiologiques relatives aux conséquences génétiques des expérimentations nucléaires dans notre fenua ? Auquel cas, il me serait utile d’en connaître les conclusions. Notre pays a-t-il mis en œuvre l’objectif 4-7 du plan cancer 2018-2022 visant à « poursuivre le suivi de la cohorte des anciens travailleurs du nucléaire et des populations ayant vécu à proximité des sites d’expérimentation nucléaire » ?
Serait-il possible d’être rendue destinataire du rapport d’étape de cette entreprise de suivi initiée depuis 2018 ?
Notre pays s’est-il doté depuis 2018 d’un observatoire spécifique dédié aux pathologies radioinduites ?
A défaut, l’objectif 2-1 du plan cancer visant à améliorer la qualité et la diffusion des données issues du registre du cancer a-t-il été atteint ?
Enfin, comptez-vous obtenir du service de santé des armées la déclassification des observations effectuées auprès des populations des Tuamotu-Gambier affectées dans leur chair par les retombées délétères des expérimentations nucléaires en Polynésie ?
Vous avez déclaré le 18 avril 2018 en réponse à l’association 193, « être animé par la recherche de la vérité, la paix et la réconciliation ». Je forme le vœu que vous puissiez emprunter le chemin de la vérité en faisant toute la lumière sur les conséquences génétiques des expérimentations nucléaires dans notre pays.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma considération distinguée.
Mme Éliane TEVAHITUA