INTERVENTION
- Question écrite adressée à M. le président de la Polynésie française
- Objet : Constitution des dossiers d’indemnisation des patients polynésiens porteurs de maladies radio-induites
DOCUMENTS
Monsieur le Président, Ia ora na,
Le 30 juin dernier, le Comité de la décolonisation de l’ONU a adopté sans vote à l’unanimité une résolution sur la « Question de la Polynésie française ». Par ce texte, il prie le Secrétaire général de l’ONU « de continuer à communiquer des mises à jour de son rapport sur les retombées environnementales, écologiques, sanitaires et autres des essais nucléaires pratiqués pendant 30 ans en Polynésie française, contenant des détails supplémentaires sur les retombées des essais nucléaires dans le Territoire, en particulier sur les conséquences de l’exposition aux rayonnements ionisants. ».
Cette résolution prouve que le Territoire non Autonome de Polynésie française – selon l’expression onusienne consacrée – exposé aux retombées des essais nucléaires de la puissance administrante (la France en l’occurrence), est au centre des préoccupations des Etats membres du « Comité des 24 » de l’ONU.
A la même date en France, au Sénat, lors de la discussion générale sur l’élection des conseillers municipaux en Polynésie, Madame Aline ARCHIMBAUD a digressé sur le cinquantenaire du premier essai nucléaire dans notre Pays à la date-anniversaire du 2 juillet 2016.
Elle constate que 6 ans après la promulgation de la loi MORIN, « l’indemnisation des victimes est quasi inexistante » avec 2.% des dossiers, soit une vingtaine, ayant abouti et a estimé que « la notion de « risque négligeable » empêche l’indemnisation ».
Elle a donc appelé ses pairs à « assumer les choix passés de l’État et réparer les dégâts : fonds sous-marins fragilisés, pollution du lagon de Moruroa, habitants irradiés, maladies génétiques et infirmités en nombre anormal ». Ces essais, a-t-elle dit, « ont fait des ravages sanitaires, environnementaux et humains ».
Elle a conclu en rappelant l’engagement du président de la République lors de sa venue en Polynésie en février dernier, de reconnaître l’impact des essais nucléaires et sur la nécessité de traduire cette reconnaissance par des actes concrets.
En réponse, Madame PAU-LANGEVIN a surenchéri sur le « drame des essais nucléaires pour la Polynésie », sur les « mots très forts » du président de la République « lors de son déplacement pour reconnaître la dette de l’État français » et sur le rôle de la Polynésie pour la défense de la France « qui lui assure la reconnaissance de la Nation ». Elle a estimé que l’indemnisation des victimes des essais nucléaires demeurait insuffisante et qu’elle préparait avec la ministre des Affaires sociales « une modification du décret pour échapper à la notion de risque négligeable. »
Pour corroborer ces déclarations d’intention de la ministre de l’outre-mer et donner une idée de la puissance destructrice du feu nucléaire subi contre son gré par le peuple MA’OHI, il m’apparait utile de rappeler que les 193 essais nucléaires réalisés durant 30 ans par la France dans notre Pays équivalent à 900 fois la puissance nucléaire de la bombe lâchée par les Américains sur Hiroshima le 6 août 1945.
A contrario de cette réalité radioactive inéluctable pérennisée par des radio-éléments actifs durant plusieurs centaines d’années, disséminés au cœur des atolls de Moruroa et Fangataufa et sur tout le territoire polynésien, le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires 5 (CIVEN) n’aura procédé à la reconnaissance d’indemnisation que de 20 victimes.
Sur les 1043 dossiers de demandes d’indemnisation déposés au 31 décembre 2015 dont 422 dossiers provenant des ayants-droit de victimes, 659 6 concernaient les essais effectués en Polynésie et seuls 58 7 dossiers émanaient de Polynésiens.
Depuis 2010, 845 dossiers ont reçu une décision défavorable d’indemnisation dont 681 pour risque négligeable. 178 dossiers sont toujours en cours d’instruction. Seuls « 20 victimes ou leur ayants-droit ont reçu notification d’une décision favorable d’indemnisation faisant l’objet d’une proposition d’indemnisation » peut-on lire à la page 8 du rapport du CIVEN. Parmi ces 20 victimes ne figurent que 7 Polynésiens .
En résumé, sur 1043 dossiers d’indemnisation déposés auprès du CIVEN, 58 proviennent de
victimes polynésiennes et seules 7 d’entre elles ont été dédommagées (chichement) des essais nucléaires perpétrés par la France dans notre Pays. Des essais nucléaires égalant 900 fois la bombe lâchée sur Hiroshima qui auront justement permis à la France de se doter « de la force de dissuasion » et d’être « membre du Conseil permanent de sécurité » de l’ONU 9 . Cherchez l’erreur, M. le Président !
Ce droit à indemnisation des victimes polynésiennes des essais français fait l’objet de ma présente question écrite et porte plus particulièrement sur la constitution des dossiers de demande d’indemnisation des 7 489 patients polynésiens médicalement suivis, et recensés par la CPS entre le 1er janvier 1992 et le 31 janvier 2015. Ces 7 489 patients sont porteurs d’une des 21 pathologies cancéreuses considérées comme radio-induites par la Loi MORIN. Ce chiffrage est rendu disponible du fait de l’informatisation des fichiers de la CPS depuis le 1 er janvier 1992.
Cependant il convient de garder à l’esprit deux éléments primordiaux :
-d’une part que ce nombre n’est guère exhaustif car ne couvrant pas les périodes antérieures de 1966 à 1991 et récentes allant du 1 er février 2015 à aujourd’hui ;
-d’autre part qu’il ne prend en compte que les patients présentant des pathologies cancéreuses circonscrites par la Loi MORIN mais aucunement les autres atteintes morbides liées aux rayonnements ionisants pourtant répertoriées dans les annexes détaillées des rapports scientifiques de telles que les maladies cardiovasculaires, les atteintes aux systèmes génétiques et immunitaires, pour n’en citer que quelques unes.
Les conséquences sanitaires de ces rayonnements ionisants sont aujourd’hui très documentées grâce aux recherches épidémiologiques effectuées depuis les catastrophes nucléaires des centrales de Tchernobyl et Fukushima
M. le Président, à l’aune de :
-la résolution prise par le Comité de la décolonisation de l’ONU le 30 juin dernier ;
-les engagements pris par le Président de la République lors de sa venue en Polynésie sur la révision du traitement des demandes d’indemnisation ;
-la reconnaissance des parlementaires de la « chambre haute » de l’existence d’« habitants irradiés », de « maladies génétiques et infirmités en nombre anormal » et de la quasi inexistence d’indemnisation des victimes polynésiennes ;
-la prise de conscience unanime des conseillers du CESC en acceptant l’exposition consacrée aux conséquences des essais nucléaires au sein de l’institution ;
-la forte mobilisation des Polynésiens (45 200 à ce jour) à la signature de la pétition lancée par l’association 193exigeant entre autres à l’Etat, l’indemnisation de toutes les victimes de ses essais nucléaires ;
Mes questions, sont les suivantes :
Dans quels délais la CPS compte informer et sensibiliser les patients polynésiens recensés par elle (ou leurs ayants-droit s’ils sont décédés) à la constitution de dossiers de demande d’indemnisation par voie de courrier personnel ou par les médias de la place ?
Comment comptez-vous faciliter leurs démarches de constitution de dossiers de demandes d’indemnisation auprès de l’association Moruroa e Tatou qui fut incontestablement le fer de lance de la juste reconnaissance des droits à indemnisation des victimes du nucléaire ?
Comment pensez-vous assurer le suivi médical des descendants des victimes polynésiens du nucléaire en raison notamment du risque élevé de transmission transgénérationnelle de maladies génétiques ?
Quelles sont les modifications de la Loi Morin que votre gouvernement estime fondamental de négocier avec l’Etat afin que tous les Polynésiens malades du nucléaire (ou leurs ayants-droit) bénéficient d’une juste réparation de leurs souffrances physiques et morales?
Ou vous contenterez-vous d’accepter sans mot dire les diktats de l’Etat en matière de révision de la Loi Morin à l’instar des gouvernements autonomistes successifs qui ont soutenu pendant plusieurs décennies et jusqu’à très récemment, la thèse des essais nucléaires prétendument propres de l’Etat ?
Je vous remercie Monsieur le Président du soin que vous prendrez à me répondre.
Faarii mai te tapa’o aroha e te Peretiteni.
Mme Éliane TEVAHITUA