INTERVENTION
- Question écrite adressée à M. le ministre du tourisme
- Objet : Site culturel sacré de TATA’A
DOCUMENTS
Monsieur le ministre,
«Ils croyaient … qu’après la mort naturelle, l’âme demeurait pendant trois jours dans le corps avant de s’en aller. Les initiés prétendaient qu’il leur était possible de voir l ’âme prenant son vol, et allaient jusqu’à décrire son aspect ainsi que celui des autres âmes qui l’accompagnaient. L’âme se protégeant des mauvais génies avec des amulettes ‘ura se rendait à la colline Tata’a à Punaauia, rendez-vous à Tahiti des âmes désincarnées. Lorsqu ‘elle atterrissait sur le ofai-ora (pierre de vie) elle pouvait retourner à son corps, mais si elle atterrissait sur le ofai-pohe (pierre de mort) elle était à jamais séparée de sa dépouille mortelle. Dans les deux cas elle montait de Tata’a jusqu’à Rotui (Qui expédie les âmes), montagne de Moorea et de là au mont Temehani à Raiatea… ». Teuira Henry
La colline TATA’A avec ses pierres de vie et de mort ‘Ôfa’i ora et ‘Ôfa’i pohe, est ainsi considérée depuis les temps immémoriaux par nos ancêtres ma’ohi comme un des lieux les plus sacrés de Tahiti, le point d’envol des âmes tahitiennes – te rereraa varua – vers le Rohotu no’ano’a, le Paradis parfumé. Depuis l’arrivée des premiers Européens au XVIII siècle, de nombreux auteurs ont attesté dans leurs écrits, du caractère sacré de TATA’A ; que ce soit John Davies, Teuira Henry, Jacques-Antoine Moerenhout, Edmond de Bovis ou Peter Buck, pour ne citer que les plus illustres … | K]
La société anonyme Tahiti Beachcomber (TBSA) projette d’édifier au sommet de la colline TATAA, un bâtiment de 4 suites hôtelières sur 2 niveaux dans le cadre de son projet immobilier dénommé les HAUTS DE BEACHCOMBER. Cette colline située à la jonction des communes de Faaa et Punaauia est classée en zone UT (Zone touristique ou de loisirs) à l’exception de son littoral classé en zone NDa (Zone de site protégé du littoral) dans le PGA de Punaauia.
Le permis de construire présenté par TBSA a recueilli un avis défavorable de la commune de Faaa en raison de l’importance culturelle du site et favorable de la commune de Punaauia sous réserve toutefois d’obtenir l’accord du service de la culture et du patrimoine. Il est actuellement en cours d’instruction auprès du service de l’urbanisme.
Bien que le propriétaire de cette terre soit sans conteste TBSA, est-il pour autant opportun d’édifier des suites hôtelières réservées exclusivement à une élite économique privilégiée sur un site patrimonial majeur de l’île de Tahiti ?
Si l’on en croit le rapport sur la « Stratégie de développement touristique de la Polynésie française 2015-2020 » que vous avez défendu avec conviction à l’assemblée de Polynésie, l’enquête conduite auprès des visiteurs sur l’image de notre destination a révélé les lacunes de notre promotion touristique :
■ absences de « mise en valeur de la culture locale » et de « temple culturel » ;
■ manque de « lieu d’expression pour en montrer toute la richesse » ;
■ non-intégration à la liste UNESCO de «la diversité de l’expression culturelle polynésienne, témoignage unique d’une tradition culturelle et d’une civilisation vivante ».
Et bien que notre destination dispose d’une « identité culturelle forte », celle-ci est « peu accessible au touriste » sans compter que les populations locales se sentent peu concernées et impliquées. C’est ainsi que TATA’A n’a bénéficié jusqu’à présent d’aucune mise en valeur de son site et ne figure dans aucun dépliant touristique !
Pour faire venir les touristes dans notre Pays, ce rapport stratégique prône la labellisation UNESCO de nos sites naturels et culturels à valeur universelle exceptionnelle. Or la colline TATA’A est un site naturel et culturel unique de l’île de Tahiti. En tant que rereraa vania, TATA’A fait partie (ainsi que les nombreux autres rereraa varua de nos îles) du réseau transnational des sites d’envol des âmes d’Océanie et témoigne du génie du peuple ma’ohi qui a sillonné dans sa totalité le Pacifique. C’est en cela que TATAA remplit les critères internationaux lui conférant une valeur de portée universelle exceptionnelle !
Le gouvernement dans ce rapport souhaite « favoriser un tourisme inclusif et participatif et développer la fierté et le partage de la culture et des valeurs polynésiennes ». Or, la colline TATAA une fois aménagée dans le respect de l’esprit des lieux (« sense of place » auquel les anglo-saxons sont particulièrement attachés) pourrait faire l’objet de visites organisées par des membres d’associations culturelles à l’adresse des résidents et de nos visiteurs ; l’objectif étant de favoriser un tourisme inclusif, de rencontres, allocentrique.
Le gouvernement veut également sensibiliser « tous les acteurs touristiques à la « nouvelle » image d’harmonie entre la culture et la nature polynésienne », penser l’aménagement touristique « à partir des valeurs et atouts polynésiens ». Or, construire sur un site sacré est loin d’être une manière de penser l’aménagement touristique « à partir des valeurs et atouts polynésiens » !
Au niveau international, le GIE Tahiti Tourisme a fait du Mana, la pierre angulaire de sa stratégie de promotion touristique. Il mise désormais sur la culture polynésienne pour attirer les touristes vers notre destination. Un Mana immanent consubstantiellement attaché au site sacré de TATA’A qui risquerait d’être annihilé par un projet mercantile !
Aussi mes questions sont les suivantes, Monsieur le ministre :
■ Ne croyez-vous pas que le Mana atemporel de ce site patrimonial majeur de la culture tahitienne mériterait un sort plus enviable que d’être relégué au rang d’un simple projet de construction hôtelière ? Ne serait-il pas de bon aloi de procéder au classement définitif de TATA’A en vue de sa protection ; ce qui suppose au préalable l’acquisition du site auprès de son propriétaire privé en proposant un autre terrain de substitution.
Pour être en adéquation avec la stratégie de développement du tourisme, ne conviendrait-il pas de soumettre l’inscription de ce site d’envol des âmes à la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO à l’instar de la Nouvelle-Zélande qui dès 1993 a entrepris puis réalisé le processus d’inscription de son site d’envol des âmes maories, le « Cape Reinga », au Patrimoine Mondial de l’Humanité ?
■ Ne serait-il pas souhaitable une fois son aménagement parachevé d’intégrer le site TATA’A au parcours de découverte des sites historiques et culturels de l’île dans la perspective d’y adjoindre des visites guidées?
■ Ne faudrait-il pas confier aux associations culturelles {Rohotu No ’ano ’a, Haururu ou Faafa ’ite par exemple) la mission de pourvoir à l’organisation future d’évènements culturels sur le site TATA’A, ils auraient ainsi vocation à prendre toute leur place dans le « calendrier annuel de manifestations culturelles accessibles aux opérateurs touristiques et aux touristes » ?
■ L’immense site du Tahiti Mahana Beach jouxtant la colline TATA’A ne constituerait-il pas le lieu idoine pour y édifier un véritable centre culturel permettant aux Polynésiens (en particulier nos enfants) et à nos hôtes de découvrir la richesse de notre civilisation ? Puissiez-vous Monsieur le ministre, cher Jean-Christophe, être l’artisan de la sauvegarde, de la préservation et de la valorisation de ce lieu dont vous êtes natif !
Il en va du salut des âmes tahitiennes. Puissent-elles continuer à rejoindre Rohotu no ’ano ’a !
Je vous remercie d’avance, Monsieur le ministre, des réponses que vous daignerez m’apporter. Faarii mai te tapa ’o aroha !
Mme Éliane TEVAHITUA