INTERVENTION
- Question écrite adressée à M. le Ministre de l’environnement
- Objet : Doter nos rivières et nos océans du statut de personne légale
DOCUMENTS
Monsieur le ministre, Ia ora na,
Lors de sa séance plénière du 15 mars 2017 le Parlement de Aotearoa – Nouvelle-Zélande vient de reconnaître à la Wanganui River – considérée comme sacrée par les Maoris – la qualité d’entité vivante unique dotée d’un statut de « personnalité juridique ». Selon la nouvelle législation, ce fleuve « partant des montagnes jusqu’à la mer, y compris ses affluents et l’ensemble de ses éléments physiques et métaphysiques … aura sa propre identité juridique, avec tous les droits et les devoirs attenants ».
Doter une rivière – c’est-à-dire à une entité a priori non-humaine – d’une personnalité juridique est une première mondiale en matière de droit de la nature car aucun cours d’eau au monde ne possédait jusqu’alors un tel statut. Cette reconnaissance est l’aboutissement d’une longue bataille livrée devant les tribunaux depuis 1870, par la tribu maorie Te Iwi Wanganui qui vivait depuis des temps immémoriaux en « connexion profondément spirituelle » avec son fleuve ancestral.
Après 150 ans de litige, la tribu Wanganui devient la gardienne de « Te Awa Tupua » le toponyme maori de la Wanganui River et à ce titre, elle sera désormais chargée de la protéger de toutes formes de pollutions et de déprédations au profit exclusif des générations actuelles et futures.
Outre la compensation financière des frais de justice engagés par la tribu, celle-ci bénéficiera d’une enveloppe financière de 30 millions de dollars néo-zélandais pour améliorer l’état du cours d’eau.
Désormais les intérêts de ce fleuve seront défendus par deux avocats représentant l’un la tribu et l’autre le gouvernement. Ce nouveau statut juridique permettra d’intenter directement des actions en justice contre des pollueurs « sans avoir à prouver de dommages particuliers à la santé ou à l’intégrité physique d’une personne impactée par cette pollution »
En Inde, berceau de l’Hindouisme civilisateur, deux fleuves – le Gange et la Yamuna – viennent à leur tour d’acquérir un nouveau statut juridique les classant en « entités vivantes ayant le statut de personne morale ». Celui-ci donne droit à n’importe quel citoyen indien d’ester en justice contre la pollution industrielle de ces fleuves révérés comme sacrés par les Hindous.
Sortant d’une vision purement anthropocentrique, ces législations avant-gardistes qui ouvrent des droits à la nature, présument que l’être humain n’est plus seul à disposer de droit juridique. Elles émanent de pays où les peuples autochtones ou indigènes se font les porte-paroles des éléments de la nature auxquels ils sont consubstantiellement liés. Aussi étrange que cette reconnaissance de droit en faveur d’un fleuve puisse paraître à des esprits occidentaux, cela est tout à fait normal pour les Maori pour qui la terre et ses éléments naturels sont personnifiés. Comme le dit un vieil adage maori : « Je suis la rivière et la rivière est moi. ».
Nous partageons cette même perception de l’environnement que nos cousins maoris. La rivière est un élément-clé de notre paysage naturel et culturel, chanté dans nos paripari fenua, les chants à la louange d’une terre ou d’un territoire, en l’occurrence le mataeinaa, le district. Chaque mataeinaa possède un paripari fenua spécifique et unique. Pour exemple, je citerai le paripari fenua de l’ancien mataeinaa de Maha’ena, aujourd’hui commune associée de Hitiaa-o-te-rä, transcrit par Teuira Henry dans Tahiti aux temps anciens.
Ainsi partant de la montagne jusqu’à la mer, se décline le périmètre spatial, culturel et mental ma’ohi, où l’homme est indissociable des éléments naturels, où nature et culture sont en symbiose. Si dans la conception occidentale, il est coutume de dire que l’« on ne se baigne jamais deux fois dans la même rivière », a contrario dans notre culture ancestrale le terme vai qui désigne la rivière et l’eau signifie également : exister, demeurer. L’eau au caractère éminemment labile et instable dans la culture occidentale est garante dans la nôtre, de la permanence et de la perpétuation des êtres vivants, au fil des générations. Le destin du Polynésien est intimement lié à son environnement, ses rivières et à son Océan, Te Moana nui a Hiva.
Monsieur le ministre, dans le DOB 2017, vous défendez une nouvelle stratégie culturelle qui reconnait l’existence d’une véritable « personnalité culturelle polynésienne », la préservation du patrimoine culturel matériel et immatériel polynésien dans sa diversité, le partage et la transmission de cet héritage pour le profit commun de la collectivité entière. Nos rivières font incontestablement partie de notre patrimoine naturel et culturel et elles sont insuffisamment protégées des nuisances pollutives.
A l’instar des évolutions juridiques conférant le statut de personne morale à la Wanganui River en Nouvelle-Zélande – Aotearoa, mes questions sont les suivantes :
Pouvez-vous faire le point des opérations déjà effectuées et à venir pour la réhabilitation de nos cours d’eau et quelles sont les actions futures que vous comptez mener pour leur reconnaissance culturelle ?
Envisagez-vous de faire évoluer la législation locale sur la protection de nos rivières en dotant celles-ci d’une personnalité juridique forte de manière à permettre aux Polynésiens vivant sur leurs berges ainsi qu’aux communes dont elles dépendent et au Pays, de saisir un avocat dédié afin d’exercer des recours devant les tribunaux en cas d’atteintes environnementales qui leur sont portées (pollutions de toutes natures, extractions illicites, remblais intempestifs, surpêche, dépotoirs sauvages, détournement du lit de rivière, etc.) ?
Par extension et pour des préjudices similaires, dans les limites de notre ZEE, ne croyez-vous pas primordial de conférer également une personnalité juridique à Te moana nui a Hiva, notre Océan, de façon à permettre à tout Polynésien, aux communes et au Pays, via un membre du barreau désigné, d’ester en justice pour défendre ses intérêts ?
Je vous remercie d’avance des réponses que vous ne manquerez pas de m’apporter.
Te aroha ia rahi.
Mme Éliane TEVAHITUA