INTERVENTION
- Question écrite adressée à Monsieur Heremoana MAAMAATUAIAHUTAPU Ministre de la culture et de l’environnement, en charge de l’artisanat
- Objet : Restitution des œuvres du patrimoine polynésien détenues dans les collections privées et musées de France.
- Réf. : « Restituer le Patrimoine africain : vers une nouvelle éthique relationnelle » Rapport remis au Président de la République, Emmanuel Macron, le 23 novembre 2018.
DOCUMENTS
Monsieur le ministre, ia ora na
« La conservation de la culture a sauvé les peuples africains des tentatives de faire d’eux des peuples sans âme et sans histoire […] et si [la culture] relie les hommes entre eux, elle impulse aussi le progrès. Voilà pourquoi l’Afrique accorde tant de soins et de prix au recouvrement de son patrimoine culturel, à la défense de sa personnalité et à l’éclosion de nouvelles branches de sa culture. » « Manifeste culturel panafricain » Souffles, N°16-17, 4e trimestre 1969, janvier-février 1970, p. 9-13.
À la faveur du « rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain », le Président de la République française a annoncé le vendredi 23 novembre 2018, sa décision de restituer « sans tarder » vingt-six œuvres appartenant au patrimoine culturel du Bénin qui ornaient jusqu’à présent les salles d’exposition du Musée du quai Branly.
Cette décision répondait à une demande de restitution officielle des autorités de cette ancienne « colonie française du Dahomey et de ses dépendances » conquise par la force par les troupes coloniales françaises entre 1892 et 1894. C’est par le truchement des prises de guerre du général DODDS dans le palais de Béhanzin que des trônes, des portes sculptées, des statues anthropomorphes, des récades et plusieurs milliers d’objets furent extirpés du Bénin pour rejoindre les collections publiques et privées de la puissance coloniale.
Entre 1885 et 1960, près de 90 000 objets d’art africains provenant de l’ensemble des colonies françaises de l’Afrique subsaharienne seront ainsi confisquées par les colons français dont 60 000 sont actuellement détenues dans les réserves du musée du quai Branly.
Les colonies françaises de l’Océanie, qu’il s’agisse de la Nouvelle-Calédonie et de notre pays n’ont pas échappé à ce pillage culturel institutionnalisé. C’est en substance ce que la France a reconnu en Nouvelle-Calédonie à la faveur des accords de Nouméa le 5 mai 1998 et notamment de son préambule qui est édifiant : « La colonisation de la Nouvelle-Calédonie s’est inscrite dans un vaste mouvement historique où les pays d’Europe ont imposé leur domination au reste du monde[…], le moment est venu de reconnaître les ombres de la période coloniale […] le choc de la colonisation a constitué un traumatisme durable pour la population d’origine.[…]Des clans ont été privés de leur nom en même temps que de leur terre[…] simultanément le patrimoine kanak était pillé ou nié ».
Si cette reconnaissance, certes embryonnaire, du pillage culturel du patrimoine kanak est gravée dans le marbre des accords de Nouméa, qu’en est-il de notre patrimoine culturel ?
Quelles actions concrètes comptez-vous mettre en œuvre aux fins d’obtenir, à l’instar de la Nouvelle-Calédonie, la reconnaissance légitime par le Président de la République de la spoliation coloniale dont notre patrimoine culturel ancestral fut l’objet ?
À supposer que vous en aillez l’envie, quelles actions concrètes comptez-vous mettre en œuvre pour obtenir, à l’instar des anciennes colonies africaines, le retour de notre patrimoine culturel sur la terre du peuple mā’ohi ?
Monsieur le ministre, le Président de la République a ouvert la voie à la remise en question du principe jusque-là intangible d’inaliénabilité des collections françaises. Faisons à notre tour preuve d’audace en instaurant un dialogue franc mais constructif et une nouvelle éthique relationnelle avec la France pour que la restitution de notre patrimoine culturel devienne une réalité.
Puisse le peuple mā’ohi redevenir un peuple avec une âme et une histoire !
Je vous prie d’agréer, Monsieur le ministre, l’expression de ma considération distinguée.
Mme Éliane TEVAHITUA