INTERVENTION
Intervenante du groupe Tavini Huiraatira : Mme Éliane TEVAHITUA
Rapporteures : Mmes Eliane Tevahitua et Sylvana Puhetini
Temps de parole : 10 mn
Consigne de vote : favorable
DOCUMENTS
QUATRIEME SÉANCE DE LA SESSION BUDGETAIRE DU 4 NOVEMBRE 2021
Présentation du rapport de la mission d’information portant sur les conditions de prise en charge des patients bénéficiant d’une évacuation sanitaire inter-îles
Seul le prononcé fait foi
Chers collègues,
Au terme de cette longue et laborieuse mission d’information, nous avons le plaisir de vous présenter ma collègue et moi, ce rapport portant sur les conditions de prise en charge des patients bénéficiant d’une évacuation sanitaire interinsulaire.
Ce sujet est une préoccupation majeure des élus de notre institution qui n’ont eu de cesse d’interroger au fil des années tous les gouvernements sur la pénurie chronique de personnels soignants dans les îles ;
l’impossibilité d’obtenir la présence d’un médecin par 1000 habitants dans les archipels éloignés en dépit des recommandations du SOS ;
les conditions parfois hasardeuses voire dangereuses des évasans par bonitier ;
les événements dramatiques survenus lors d’évacuations sanitaires aux Tuamotu Gambier et aux Marquises ;
les casse-têtes administratifs rencontrés par les malades évasanés en raison d’un manque de coordination entre la CPS, la Direction de la santé et Air Tahiti ;
les disparitions puis réapparitions sporadiques des hélicoptères notamment dans l’archipel des Marquises.
Notre mission a tenté de répondre aux questions suivantes :
Est-ce que le dispositif règlementaire, les ressources budgétaires, humaines et logistiques existants ainsi que les conditions de mise en oeuvre des évasans sont satisfaisants ? Répondent-ils aux besoins des Polynésiens ?
Quels sont les points à améliorer, les réformes à opérer afin d’offrir un meilleur service sanitaire à nos compatriotes des îles éloignées ?
Si statutairement parlant, notre Pays est entièrement compétent en matière de santé, l’État n’en est pas moins compétent en matière de sécurité publique et de secours aux populations, notamment dans le cas d’espèce des évasans d’urgence. Or, étrangement, l’État fait payer à des tarifs prohibitifs à la CPS toutes ses interventions urgentes à tel point qu’il consomme le tiers des crédits annuels de prise en charge totale des évasans.
De plus, il n’existe pas de dispositif national de continuité territoriale sanitaire contrairement à d’autres territoires ultra-marins. Pourtant, les défis sont grands car la Polynésie est étalée sur une ZEE de 5,5 millions de km2 avec ses 5 archipels et ses 76 îles habitées sur 118 îles.
Les inégalités d’offre de soins sont intimement liées à la répartition géographique de la population. 87 % des 280 000 Polynésiens habitent les îles de la Société tandis que les 13 % restants vivent dans les archipels des Australes, des Marquises et des Tuamotu-Gambier ; ce dernier avec ses 17 000 habitants représentant quasiment la moitié de ces 13 %.
Par ailleurs, 2 Polynésiens sur 3 vivent à Tahiti où se concentrent plus de 4/5ème des professions médicales, 70 % des officines pharmaceutiques et 6 établissements hospitaliers sur 9 dont le CHPF.
La prise en charge sanitaire des populations des Îles Sous-le-Vent, des Marquises, des Australes et des Tuamotu-Gambier repose essentiellement sur la Direction de la santé, un service du Pays à bout de souffle.
Et parce que les trois hôpitaux périphériques de Moorea, d’Uturoa et de Taiohae ne disposent pas des moyens techniques suffisants pour répondre à tous les besoins sanitaires des résidents, il est fait recours aux consultations spécialisées avancées (CSA) et aux évasans, lesquelles sont principalement assurées par le CHPF et ce d’autant que l’offre de soins aux Australes, aux Tuamotu Gambier et aux Marquises enregistre la densité des médecins généralistes et des infirmiers la plus basse de France.
Au terme de leur mission, les rapporteures proposent 18 axes et 90 recommandations censées améliorer de manière certaine le dispositif des évasans et la qualité du service sanitaire offert aux résidents des archipels éloignés :
AXE 1 Réduire les inégalités d’offre de soins liées à la répartition géographique de la population.
Pour atténuer les inégalités d’offre de soins liées à la répartition géographique de la population, nous proposons
d’affecter des praticiens hospitaliers supplémentaires dans les hôpitaux de Nuku Hiva et de Raiatea sur la base des statistiques d’évasans par spécialité ;
d’imputer le transport pour la réalisation des mammographies des femmes des Îles-Sous-le-Vent et des Marquises sur le fonds de continuité territoriale de transport sanitaire ;
d’implanter à Hao une offre de soins secondaires c’està-dire un hôpital périphérique qui drainera tout le bassin de population des Tuamotu Gambier qui compte 17000 habitants.
AXE 2 Réduire les inégalités d’accès aux soins liées aux infrastructures aéroportuaires, portuaires et routières et aux distances à parcourir.
Parmi nos 47 aérodromes publics, 33 sont totalement inaccessibles de nuit sauf par hélicoptère Dauphin de l’Armée.
À cause de défauts de balisage et d’extension des pistes, de nombreuses évasans urgentes sont réalisées par les forces armées à des prix très prohibitifs pour les comptes sociaux.
Au niveau des dessertes intra-communales et intra-archipels, la CPS ne prend pas en charge le transport sanitaire depuis le domicile du malade, mais à partir de l’aérodrome de l’île la plus proche du patient.
De ce fait, les transports depuis le domicile du patient jusqu’à l’aéroport sont réalisés par les sapeurs-pompiers et imputés sur le budget communal.
Pour diminuer les inégalités d’accès aux soins liées aux infrastructures aéroportuaires, portuaires et routières et aux distances à parcourir, nous proposons que soient clarifiées les conditions de prise en charge financières des transports terrestres et maritimes entre le domicile du patient et l’aérodrome et d’imputer ces dépenses sur un fonds du transport sanitaire abondé par l’État sur la base de l’article L 1803-4 du code des transports.
Il convient également de clarifier avec la CPS, les conditions de transit et d’hébergement des patients évasanés programmés depuis les îles sans aérodromes de Rapa, Tahuata et Fatu Hiva, notamment en concluant des conventions d’hébergement avec des pensions de famille de Raivavae, Tubuai, Nuku Hiva et Hiva Oa.
De surcroit, le Pays devra doter ses aérodromes d’un balisage télécommandé, prévoir des travaux d’extension des aérodromes d’Ua Pou et Ua Huka et améliorer les infrastructures portuaires et routières, notamment aux Marquises.
Et enfin, il importe que nos formations sanitaires soient dotées d’une chambre froide pour la conservation des dépouilles de défunts dans des conditions humaines et sanitaires décentes
AXE 3 Lutter contre les déficits récurrents de personnels soignants et améliorer leurs conditions de recrutement et d’exercice.
Pour lutter contre les déficits récurrents de personnels soignants et améliorer leurs conditions de recrutement et d’exercice dans les formations sanitaires excentrées, nous recommandons de redéployer dans l’archipel des Tuamotu Gambier les 11 médecins de la subdivision actuellement basés à Papeete, de développer les CSA de médecins généralistes dans les îles dépourvues de centre médical, de doubler les postes de médecins dans les centres médicaux ou d’associer les médecins libéraux, quand il y en a, au tableau des astreintes de nuit et de week-end.
Il convient également de rétribuer à leur juste valeur les personnels de santé exerçant en milieu isolé, de confier leur recrutement au seul ministre de la santé et leur entière gestion au CHPF, dans la perspective prévue par le SOS d’un futur établissement hospitalier public unifié auquel devrait être intégré également l’établissement public de soins primaires.
En outre, cet opérateur unique sera chargé de faciliter la formation continue obligatoire et de prévoir un plan de prévention de l’épuisement professionnel.
AXE 4 Pallier l’insuffisance du quota actuel de consultations spécialisées avancées (CSA).
Les CSA, consultations spécialisées avancées, sont particulièrement adaptées aux besoins des patients et à la dispersion géographique et démographique de la Polynésie. 10 000 CSA sont réalisées chaque année et ont permis de diminuer les évasans urgentes de 14 % ainsi que les évasans programmées liées à du suivi de longue maladie.
S’il est patent que leur absence ou leur diminution fait augmenter le nombre d’évasans programmées et urgentes par île, néanmoins des études d’incidence permettront d’affiner leur impact réel.
Pour pallier l’insuffisance du quota actuel de CSA, nous recommandons de développer ce dispositif au maximum pour éviter des déplacements aux patients, de pérenniser son financement et de confier la gestion du réseau inter-îles confiée à un opérateur unique, le CHPF.
AXE 5 Améliorer la prise en charge sanitaire aux ISLV.
L’amélioration notable de la prise en charge sanitaire aux ISLV passe par
la création d’une antenne SMUR à l’hôpital de Raiatea pour l’ensemble des Îles Sous-le-Vent et d’une unité de surveillance continue ;
l’affectation d’un hélicoptère sanitaire basé à Uturoa disponible 24 heures sur 24 avec un héliport le plus près possible de l’hôpital.
À côté de cela, il convient de créer un poste d’infirmier en psychiatrie, d’ouvrir un centre de secours à Parea-Huahine, de faciliter l’installation d’une sagefemme à Tahaa et d’acquérir un vecteur maritime agréé pour le transport sanitaire entre Tahaa et Raiatea.
AXE 6 Améliorer la prise en charge sanitaire aux Marquises.
Pour améliorer la prise en charge sanitaire aux Marquises, les Maires doivent être impliqués dans l’élaboration du SOS de leur archipel, notamment dans l’organisation des évasans.
Cette remarque est aussi valable pour les Tuamotu-Gambier, les Australes et les Îles-Sous-le-Vent.
Pour en revenir aux Marquises, l’amélioration de cette prise en charge passe par
la création d’une antenne SMUR à l’hôpital de Taiohae,
d’un hélicoptère sanitaire disponible 24 heures sur 24 et implanté au plus près de l’hôpital.
Nous préconisons de plus l’acquisition d’un vecteur maritime agréé pour le transport sanitaire au Nord et le renforcement des équipements logistiques (routes, digues, quais, aérodromes, etc.) sur l’ensemble des Marquises.
AXE 7 Organiser les évacuations sanitaires interinsulaires.
L’amélioration organisationnelle des évacuations sanitaires interinsulaires passe par l’adoption d’une loi du pays relative à l’aide médicale urgente qui définira les missions, l’organisation et les moyens dédiés aux évacuations sanitaires et crée officiellement le SAMU.
Cette aide médicale d’urgence doit être définie avec l’État dans le cadre des plans de convergence.
Il convient de créer un fonds de continuité du transport interinsulaire sanitaire où seront imputées les dépenses de transports sanitaires terrestres, maritimes et aériens auxquelles l’État doit apporter sa contribution.
À défaut d’hélicoptères civils dédiés au secours et au titre de la solidarité et de l’égalité nationales, les évasans urgentes par l’armée devraient être réalisées à titre gratuit.
AXE 8 Réguler les transports sanitaires.
La régulation des transports sanitaires nécessite de définir un protocole de prise en charge des urgences sanitaires par les pompiers communaux et de rendre obligatoire la présence d’un accompagnateur médical des patients transportés en urgence par voie maritime.
Pour ce faire, elle nécessite de développer des relais SMUR dans les hôpitaux de Taravao,d’Afareaitu, de Taiohae et de Raiatea, de définir un schéma territorial des évacuations sanitaires d’urgence, d’accroître la disponibilité des vecteurs aériens et maritimes et de renégocier les conditions d’intervention des forces armées en Polynésie.
AXE 9 Pallier l’indisponibilité fréquente des compagnies aériennes en cas d’évasans urgentes.
Pour pallier l’indisponibilité fréquente des compagnies aériennes en cas d’évasans urgentes, les rapporteures recommandent de mettre en place un appel d’offres avec un cahier des charges permettant d’identifier les besoins des évasans d’urgence et de doter les communes dépourvues d’aérodrome, de bateaux médicalisés pour leur réalisation.
AXE 10 Améliorer l’organisation des évasans programmées.
Afin d’optimiser l’organisation des évasans programmées, il conviendrait de mutualiser les déplacements des patients vers le CHPF, de confier cette organisation à un opérateur unique, le SAMU, de définir les critères d’éligibilité des patients aux évasans, CSA ou à la télémédecine en fonction des motifs de consultation, du diagnostic et de l’offre de soins et d’encadrer les évasans programmées pour prévenir les abus.
AXE 11 Soutenir les secours sanitaires assurés par les communes.
Afin de soutenir les secours sanitaires assurés par les communes, nous proposons
de clarifier leurs missions d’assistance et de secours et d’imputer à la CPS la prise en charge des frais liés aux transports sanitaires et aux services funéraires que les communes réalisent.
De surcroit, les frais de déplacements des agents communaux pour l’accompagnement des évasans psychiatriques doivent être imputés sur le fonds de continuité territoriale de transport interinsulaire et les sapeurs-pompiers communaux être associés aux formations aux gestes d’urgence du CESU.
Une piste consiste à revoir la dotation du FIP aux communes réalisant des évacuations sanitaires et à réactiver la commission d’évaluation des charges des compétences transférées par l’État aux communes.
AXE 12 Atténuer les difficultés sociales soulevées par les évacuations sanitaires.
Pour atténuer les difficultés sociales concomitantes aux évacuations sanitaires, il convient d’instaurer un numéro d’appel d’astreinte à la CPS, de réglementer les tarifs de transport par voie aérienne des dépouilles mortelles, d’imputer ces dépenses sur le fonds de continuité du transport insulaire sanitaire et enfin d’améliorer la prise en charge des patients évasanés aux urgences du CHPF et de leurs accompagnateurs, qui laisse à désirer.
AXE 13 Conforter les équilibres financiers de la PSG et la couverture médicale des Polynésiens.
Afin de conforter les équilibres financiers de la PSG et de préserver ses capacités financières à couvrir sanitairement l’ensemble de la Polynésie, le remboursement et la prise en charge par l’État des frais médicaux des patients atteints de cancers, émargeant sur la liste des maladies radio-induites de la loi Morin, sont indispensables.
Pour améliorer la couverture médicale des ressortissants polynésiens, il convient d’organiser une couverture médicale à 100 % du territoire notamment pour ceux en situation de précarité et d’instaurer une loi annuelle de finances sanitaires et sociales votée par notre institution.
AXE 14 Optimiser la gouvernance sanitaire et l’organisation des soins.
Afin d’optimiser la gouvernance sanitaire et l’organisation des soins et mettre fin à l’organisation bicéphale des soins dans le secteur public, les rapporteures soulignent l’importance de regrouper tous les hôpitaux publics ainsi que le futur Établissement polynésien de soins primaires en un seul et unique Établissement hospitalier et sanitaire public, tel que préconisé par le SOS.
Cela implique au préalable de mutualiser les laboratoires et pharmacies publics et d’officialiser le réseau périnatal polynésien.
AXE 15 Renforcer la prévention sanitaire.
En grande partie, les évasans programmées comme urgentes sont les conséquences d’un mauvais état de santé avec 1 Polynésien sur 6 porteur d’une ou plusieurs longues maladies. Pour enrayer la croissance continue du nombre de patients en longue maladie, il convient de renforcer la prévention sanitaire en légiférant sur une diminution du taux de sucre dans les aliments vendus dans notre Pays et de revenir à une fiscalité comportementale plus dissuasive et d’interdire la publicité directe ou indirecte en faveur des produits et boissons sucrés, du tabac et de l’alcool.
AXE 16 Améliorer les transports sanitaires.
L’amélioration des transports sanitaires nécessite de rétablir les astreintes des contrôleurs aériens à Moorea, de confier la coordination des évasans urgentes et programmées au SAMU, de poursuivre les aides à l’investissement visant à améliorer l’offre de soins dans les îles, d’obtenir la gratuité des évasans urgentes réalisées par l’Armée au titre de la solidarité et de l’égalité nationales à défaut d’hélicoptères civils dédiés au secours et au titre de la continuité territoriale, d’obtenir la prise en charge par l’État d’une partie du surcoût des frais de transport des transports sanitaires maritimes et aériens.
AXE 17 Développer la télémédecine.
L’accès et l’offre de soins des archipels éloignés passent par le développement de la télémédecine avec le soutien technique et financier de l’État, l’élaboration d’un schéma directeur et l’installation d’une salle de visioconférence au CHPF.
AXE 18 Pallier la carence des soignants dans les archipels.
Pour pallier la carence des soignants dans les archipels sur le long terme, nous recommandons un suivi particulier des étudiants polynésiens en médecine, en odontologie, en pharmacie actuellement en formation et de prioriser leur intégration dans les structures de soins et d’hospitalisations publiques du Pays.
L’évolution statutaire du CHPF en CHU permettra d’ouvrir un cycle entier de formation de médecine générale en Polynésie.
Le seul vœu que nous formulons en tant que rapporteures de cette mission d’information est que le Pays mette en œuvre ces préconisations de manière à ce que nos compatriotes des îles puissent disposer d’un service sanitaire le plus performant possible.
Je vous remercie de votre attention. Mauruuru i te faarooraa mai !
Mme Éliane TEVAHITUA