INTERVENTION
- Courrier adressé à M. Édouard FRITCH, président de la Polynésie française
- Objet : Gestion de l’épidémie de la COVID-19 en Polynésie
Monsieur le président
À l’heure où la situation sanitaire dans notre pays est extrêmement préoccupante suite aux augmentations exponentielles des cas de COVID-19 et des décès imputables à celle-ci, je ne peux me résoudre à me taire en tant que représentante, membre de la commission législative de la santé et ancienne professionnelle de santé.
Je me permet de vous adresser la lettre ouverte ci-jointe sur la gestion par votre gouvernement de cette crise sanitaire d’ampleur inégalée.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma considération distinguée.
Mme Éliane TEVAHITUA
???????????????????????????????????? ???????????????????????????????????? ???????????????????????????????????????????????????????? ????????????́???? ????̀ ???????? ???????????????????????????? ????????́???????????????????????????????????? ???????? ???????? ????????????????????-???????? ???????? ????????????????????????́????????????.
La Polynésie est réputée pour détenir des records sanitaires peu enviables : taux d’obésité les plus importants au monde, prévalences hors normes de diabète et de cancers, consommation d’alcool par habitant la plus importante au monde, taux de personnes en longue maladie parmi les plus élevés au monde.
Sur ce terrain délétère pourtant connu de tous, M. le président de la Polynésie française, vous aurez réussi l’exploit peu reluisant avec le concours du représentant de l’État, d’ajouter un nouveau record à notre palmarès : faire de la Polynésie l’un des pays qui enregistre le taux de contamination à la COVID le plus élevé du monde. C’est le constat effrayant dressé par l’épidémiologiste indépendant, Sean CASEY, missionné par l’Organisation mondiale de la santé en octobre dernier. La Polynésie enregistre aujourd’hui les pires records de contamination au monde avec la Belgique, la République tchèque et Andorre, elle enregistrera demain les taux de morbidité liés à la COVID les plus importants au monde.
De surcroît M. le président de la Polynésie française, vous êtes en passe de réussir une autre prouesse peu enviable : obtenir le palmarès du nombre des décès par habitant lié à la COVID parmi les plus élevés du monde. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’on sait qu’une proportion de 30 % de notre population est en situation d’obésité, que 22 % est diabétique, que 43 500 personnes dans notre pays sont atteintes d’une longue maladie ; ces longues maladies endémiques chez les plus pauvres qui sont propices à la prolifération et à la létalité du virus dans un contexte sanitaire aggravé par la tension extrême des moyens techniques, humains et médicaux du CHPF ?
Chaque jour les polynésiens assistent, en témoins impuissants, à votre improvisation M. le président et aux discours contradictoires dont vous êtes passé maître. Pourtant vous n’hésitiez pas à déclarer sur le ton péremptoire qu’on vous connaît en août 2020 : « Bien sûr qu’on peut gérer ». En réalité, vous ne gérez plus rien du tout.
Avec le représentant de l’État, vous n’hésitez pas à fermer les salles de sport pourtant nécessaires à la santé de notre population mais dans le même temps vous restez mutique quand 20 000 polynésiens s’entassent chaque jour dans des autobus bondés et climatisés ; vous acceptez également que des classes surchargés de 30 élèves potentiellement contaminés s’entassent dans des salles exigües en contradiction flagrante avec les règles de distanciation sociale d’un mètre que vous avez édictées.
À court d’arguments, vous n’hésitez pas M. le président, à accuser vos propres concitoyens en les accablant de toutes les turpitudes, les ma’ohi sont tenus responsables de tenir des réunions particulièrement alcoolisées qui participent à la propagation du virus. C’est pourtant vous, ce même président contempteur, qui avez cédé au lobby alcoolier local en autorisant la vente d’alcool et l’installation de « drive-in » pour que les polynésiens que vous fustigez maintenant puissent acheter leur alcool sans même avoir à sortir de leur véhicule. C’est vous, ce même président, qui s’était engagé à interdire la publicité pour les boissons alcoolisées pour lutter contre l’alcoolisme endémique de sa population qui comme à son habitude n’aura pas fait suivre ses promesses par des actes.
Vous en appelez, M. le président, à l’exemplarité des gestes barrières et au respect des règles de distanciation sociale, mais vous êtes malheureusement le premier à les enfreindre. Il suffira pour s’en convaincre de se souvenir des embrassades de ce même président et des sénateurs nouvellement élus à l’origine du foyer de contagion de grande ampleur qui aura ensuite essaimé parmi les élus et habitants de retour dans leurs archipels notamment.
Quant au préfet de la République en Polynésie, il en appelle au civisme et à l’exemplarité des services de l’Etat mais ce sont ses propres gendarmes en mission dans notre pays, ceux qui sont supposés assurer le respect de l’ordre et la protection des citoyens, qui se sont adonnés à des soirées arrosées au Piment rouge ; ces mêmes soirées à l’origine de la plus vaste propagation de la COVID dans notre pays. Dès lors, comment exiger des polynésiens, le respect des règles les plus élémentaires de prudence quand les services de l’Etat ont, en dépit du bon sens et en pleine pandémie, autorisés l’entrée sur notre territoire de 4 000 fonctionnaires et familles potentiellement infectés tandis que la Nouvelle-Calédonie et la Nouvelle-Zélande décidaient de sanctuariser leurs frontières ?
En exigeant l’ouverture de nos frontières aériennes sans mesures d’isolement préventives, la ministre du tourisme aura quant à elle réussi l’exploit d’entacher durablement la notoriété de la Polynésie et de saper la confiance des marchés touristiques émetteurs en notre destination, laquelle sera passée en quelques mois du statut prisé de destination COVID free prepared, à celui de destination COVID unprepared ++ rouge écarlate aujourd’hui et demain rouge sang.
Notre destination qui aura accueilli 12 447 visiteurs internationaux entre avril et août 2020, est désertée aujourd’hui par ces mêmes visiteurs. Votre gouvernement a ainsi choisi de sacrifier la santé et les vies des polynésiens pour 12 447 visiteurs qui auront dépensé dans notre pays 3 000 000 000 F CFP auxquels il conviendra de déduire les frais de prise en charge par le Pays des tests PCR et détruit durablement notre image de marque à l’international, image de marque construite patiemment au prix des budgets promotionnels conséquents et successivement pris en charge par le Pays.
Les îles Maldives préparent l’avenir et sont déjà à pied d’oeuvre. Notre concurrent direct, qui n’enregistre à ce jour que 768 cas de COVID actifs pour 550 000 habitants a d’ores et déjà mis en place depuis le 15 septembre 2020, en partenariat avec l’organisation mondiale du tourisme et le
« World Travel and Tourism Council » un LABEL INTERNATIONAL de SECURITE SANITAIRE ( SAFE TRAVELS STAMP) en matière de voyage qui permettra de restaurer la confiance des agents de voyages, des tours opérateurs et des visiteurs quant à la sûreté sanitaire des Maldives. Cette démarche est également celle de la Nouvelle-Zélande qui prépare la mise en place d’une bulle sanitaire avec Fidji. Qu’attends la Polynésie covidée pour en faire de même ?
Dans la même veine, les Maldives proposeront à l’international dès le 19 décembre 2020, un dispositif gouvernemental dénommé « MALDIVES BORDER MILES » qui viendra récompenser les visiteurs qui se rendront aux Maldives en les incitant à y retourner par des réductions sur les tarifs hôteliers, activités et transports avantageuses acquises à l’occasion de de leur passage à la frontière. Qu’attends la Polynésie covidée pour en faire de même ?
Les îles Fidji dont l’économie dépend pour 25 % de l’activité touristique ont quant à elle mis en place depuis mars 2020 un dispositif de traçage par téléphone de l’ensemble des visiteurs et des résidents fidjiens via l’application mobile CAREFIJI. Qu’attendons-nous pour faire preuve d’inventivité et en faire de même ?
Dans le domaine de l’Éducation, la ministre en charge aura quant à elle réussi l’exploit également peu enviable d’avoir permis la constitution d’un des haut-lieux de foyers scolaires de contagion à la COVID de France, au lycée du Diadème. En manque d’arguments sérieux, elle se contente pareillement à vous, de rejeter cet échec sur le comportement des élèves qui partageraient les mêmes gourdes d’eau et paquets de chips à l’origine de la dissémination du virus !
Quand la ministre de l’Éducation aura-t-elle le courage de mettre en place les recommandations émises par le groupe « Tavini huiraatira » et les syndicats d’enseignants : gratuité des masques, installation de dispositifs de prise automatique de température à l’entrée des classes et des établissements, dédoublement des classes dans l’ensemble des établissements scolaires, modification du calendrier et des rythmes scolaires, adoption du dispositif « une salle-une classe » ?
Au terme de cinq mois d’une gestion calamiteuse et erratique depuis la réouverture de nos frontières aériennes, vous aurez réussi M. le président l’exploit de saper la confiance des polynésiens dans leur propre économie, de décrédibiliser notre destination touristique à l’international, sans avoir su tirer les leçons lors de la première vague de cette crise sanitaire au premier semestre de cette année.
Désormais, M. le président vous êtes le seul comptable des conséquences de vos décisions. Vous porterez sur votre conscience les 10 680 personnes qui ont déjà contracté le virus, les 49 vies déjà perdues, des familles endeuillées et des décès dont le nombre ne manquera pas de s’accélérer dans les prochains jours.