INTERVENTION
Intervenante du groupe Tavini Huiraatira : Mme Éliane TEVAHITUA
Rapport n° 112-2022 du 28/10/2022
Lettre n° 7920/PR du 14 octobre 2022
Temps de parole : 15 mn
Consigne de vote : Abstention
DOCUMENTS
CINQUIEME SÉANCE DE LA SESSION BUDGETAIRE DU 17 NOVEMBRE 2022
Rapport sur le projet de loi du pays relative aux substances vénéneuses
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le ministre ;
Lors de la séance budgétaire inaugurale du 15 septembre 2022, lePrésident de la Polynésie française disait ceci devant les élus et l’aéropage de la société civile et des représentants de l’État : « Avant d’en venir à la conclusion de mon propos, je souhaite évoquer un sujet qui préoccupe certains, sûrement pas la majorité de cette population, encore moins l’ensemble de cette population, c’est la fameuse question du cannabis thérapeutique. Le gouvernement a engagé des études sur le sujet mais, avant de vous présenter un texte de loi, je souhaite véritablement qu’un débat, qu’un véritable débat de société s’engage sur le sujet pour que la population soit parfaitement informée des tenants et des aboutissants de ce dossier. Je suis contre la consommation de cannabis, et bien sûr que les effets pervers d’une telle loi seront de notre responsabilité. Il faut qu’on en débatte, il faut qu’on informe nos populations sur les dangers de tels dispositifs. » Fin de la citation.
À contre-pied de ses propres déclarations en séance plénière ne voilà-t-il pas qu’un mois plus tard le 14 octobre, le Président transmettait à l’assemblée ce projet de texte sur le cannabis. Exit le débat de société sur le cannabis thérapeutique ! Exit l’opposition du Président à la consommation du cannabis ! Exit « les effets pervers d’une telle loi » ! Exit « les dangers de tels dispositifs » ! Le cannabis nous revient en odeur de sainteté dans ce projet de loi du pays dans lequel il devient subitement urgent d’autoriser son utilisation médicale et sa production agricole à des fins industriels. Comment expliquer ce virage à 180 degrés du Président de la Polynésie, autrement que par la proximité des élections de 2023 ?
En France, imaginerait-on le Président de la République faire en un mois,le contraire de ce qu’il annonce à l’instar de notre président du pays ? Il secouvrirait de ridicule devant ses pairs. Ce serait le tollé au Parlement etdans la presse française. Il serait tout simplement indigne de ses hautes fonctions. Ainsi, M. le ministre de la santé, vous proposez, de réviser dans son intégralité la délibération n° 78-137 du 18 août 1978 qui réglemente jusqu’à aujourd’hui l’importation, l’exportation, l’achat, la vente, la détention et l’emploi des substances vénéneuses en Polynésie française ainsi que ses arrêtés d’application. Votre intention n’est-elle pas de tuer dans l’œuf la proposition de loi de Pays fort pertinente de notre collègue Nicole Sanquer autorisant l’expérimentation de l’usage médical du cannabis qu’elle a déposée le 27 septembre 2021, il y a plus d’un an et jamais examinée en commission de la santé ?
Le groupe Tavini ne doute pas de la nécessité de toiletter un texte vieux de 44 ans qui n’a jamais été modifié. Nous sommes favorables à l’utilisation thérapeutique du cannabis en faveur des patients polynésiens ainsi qu’à la production agricole du chanvre. Mais à 5 mois des élections, ce projet de loi opportuniste est surtout une énorme tromperie vis-à-vis des Polynésiens qui appellent de leurs vœux la légalisation du cannabis médical car ce texte qui sera adopté par votre majorité a toutes les chances de faire l’objet de recours par le représentant de l’État. Car, comment peut-il en être autrement alors que la France est toujours au stade expérimental du cannabis thérapeutique ?
Le décret n°2020-1230 du 07 octobre 2020 est pourtant clair. La France autorise l’expérimentation de l’usage thérapeutique du cannabis sur une durée de 2 ans. Cette expérimentation strictement encadrée a débuté le 26 mars 2021. Initialement prévue pour s’achever le 25 mars 2023, une prolongation d’un an est d’ores et déjà envisagée. Alors que l’expérimentation n’est pas encore terminée et que son bilan non encore dressé, comment la simple collectivité ultramarine française de Polynésie pourrait-elle s’arroger le droit d’autoriser le cannabis médical alors qu’il ne l’est pas en France ? Le cannabis est, faut-il le rappeler, un stupéfiant encore illicite en France et par conséquent en Polynésie toujours française.
L’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) n’autorisera pas l’utilisation de médicaments à base de cannabis en Polynésie tant que l’expérimentation nationale n’est pas finie et que l’organisation à mettre en place au niveau national n’a pas encore abouti. Si la Polynésie était un état souverain, la question ne se poserait même pas car l’assemblée délibérante serait à même de voter pour ou contre la légalisation du cannabis médical ou récréatif ou de proposer un référendum populaire sur la légalisation ou non du cannabis.
En fait, votre texte prévoit de fixer le cadre législatif de l’utilisation licite de substances stupéfiantes encore illicites. Vous savez pertinemment, M. le ministre, que notre compétence statutaire en matière de santé est insuffisante pour justifier l’utilisation en tant que médicament d’un produit stupéfiant encore illicite en France.
Nous voyons bien que votre projet de texte a été conçu et transmis dans la précipitation car 8 amendements ont été déposés en commission de la santé du 28 octobre dernier. Combien d’autres encore nous parviendront de votre part au cours de notre séance ? De plus, aucun projet d’arrêté d’application ni de projet de délibération n’ont été fournis aux membres de la commission.
Or à la lecture de ce projet de loi, pas moins d’une vingtaine de délibérations et arrêtés d’application sont indispensables pour lui donner vie. En résumé, c’est un cadre juridique inapplicable en l’état qui donne de faux espoirs aux malades atteints de pathologies chroniques lourdes et algiques souhaitant recourir au cannabis thérapeutique.
Ainsi, les variétés de cannabis retenues ne sont pas connues. Des autorisations sont prévues pour cultiver, vendre, transformer, transporter et exporter le cannabis et ses produits dérivés ou finis, pour avoir une traçabilité de la filière. Mais qui bénéficieront de ces autorisations ?
Aucune réponse ne nous est apportée. Je vous épargnerai la lecture fastidieuse de la liste impressionnante de tous les projets d’arrêts et de délibérations indispensables pour rendre exécutifs les articles LP5, LP11, LP 12, LP 13, LP 16, LP 17, LP 21, LP 23, LP 24, LP 31, LP 32, LP 39, LP 40 et LP 43.
Dans les dispositions finales, l’article LP 56 précise bien que tant que l’ensemble des délibérations et arrêtés pris en conseil des ministres pour l’application des articles que je viens d’énumérer ne sont pas adoptés par l’assemblée ni pris en conseil des ministres, c’est la délibération n° 78-137 du 18 août 1978 qui prévaut toujours même en cas de promulgation de la présente loi du pays, à supposer qu’elle soit promulguée en l’état et non invalidée par les hautes juridictions.
De plus, l’article LP 56 fixe un délai d’un an après la date de promulgation de la loi du pays pour que l’ensemble des délibérations et arrêtés pris en conseil des ministres entrent en vigueur ; ce qui nous parait quasi impossible à réaliser en 5 mois de mandat au vu du nombre important de textes d’application à élaborer et à faire adopter par l’assemblée, alors que notre institution entrera dès la mi-décembre jusqu’à mi-avril prochain en
période de pose parlementaire.
Devant tous ces constats, le groupe Tavini Huira’atira s’abstiendra dans son vote.
Je vous remercie de votre attention. Mauruuru i te faarooraa mai !
Mme Eliane TEVAHITUA
Représentante inscrite au groupe Tavini Huiraàtira