INTERVENTION
Intervenante du groupe Tavini Huiraatira : Mme Éliane TEVAHITUA
Rapport n° 165-2021 du 02/112021
Lettres n° 8555/PR du 27/10/2021
Temps de parole : 10 mn
Consigne de vote : Abstention
DOCUMENTS
SEPTIEME SÉANCE DE LA SESSION BUDGETAIRE DU 7 DECEMBRE 2021
Rapport sur le projet de loi du pays relative à l’insertion sociale par l’activité économique
Seul le prononcé fait foi
Chers collègues,
L’enquête sur l’emploi réalisée en 2018 par l’ISPF a révélé que 51 % des personnes en âge de travailler avaient un emploi dans l’archipel de La Société. Cependant une fois sur sept, cet emploi est précaire, occupé le plus souvent par des jeunes de moins de 30 ans. De surcroit, 22 % des individus en âge de travailler sont sans emploi mais souhaiteraient en occuper un. Cela concerne 36 100 personnes dont 14 700 chômeurs majoritairement jeunes et peu qualifiées.
Vous vous basez Madame la ministre, sur cette étude de l’ISPF révélatrice d’une sous-utilisation de la population en âge de travailler, mais vous faites mieux que les ingénieurs statisticiens, puisque vous estimez que le sous-emploi touche 48 600 personnes et vous souhaitez pallier à ce sous-emploi des Polynésiens les plus vulnérables figurant parmi les 100 000 personnes actuellement affiliées au RSPF.
Me remémorant vos arguties en séance de la commission du 9 novembre dernier, j’ai eu l’impression Madame la ministre que vous vous êtes convertie en ministre de l’emploi. Vous justifiez votre incursion sur les plates-bandes de votre collègue en charge du travail par les conséquences sociales importantes qu’engendrerait le sous-emploi des personnes bénéficiaires d’aides sociales. Comme l’a bien exprimé ma collègue Vaitea Le Gayic en commission, « le concept est bien mais le SÉFI se situe où par rapport à tout ça » ? Les services sociaux sous vos ordres ne feront- ils pas en double le travail du SEFI ?
Je rajouterai pour ma part : Que faites-vous du CFPA dont les missions sont clairement définies : « Organiser, animer la formation professionnelle de toute personne âgée de plus de 16 ans présentant un déficit de qualification ou souhaitant accéder à un titre supérieur au diplôme détenu » ; accompagner et suivre les demandeurs d’emploi en vue de leur insertion durable pendant une année grâce à sa cellule insertion professionnelle.
À vous entendre Madame la ministre, pour mettre un terme au recours des Polynésiens sans formation et sans emploi aux aides alimentaires, l’inclusion sociale devient la nouvelle panacée pour les insérer et répondre aux emplois perdus. Il n’est plus question « de dépenses publiques » mais « d’investissement social » avec « un parcours d’insertion sociale par l’activité économique adapté à chaque personne suivie » et les travailleurs sociaux doivent désormais « trouver des emplois aux personnes qu’ils suivent » bien que cela ne soit pas leur métier contrairement au SEFI dont c’est le cœur de métier.
Vous prévoyez ainsi d’étendre les contrats aidés (CAE, CIS, DIÈSE, DÉSÉTI) à des associations de la place que vous plébiscitez. Celles-ci sont déjà largement subventionnées par le régime de solidarité mais s’estiment insuffisamment aidées par la puissance publique d’où la genèse de ce projet de loi du pays relative à l’insertion sociale par l’activité économique.
Pour synthétiser ce schéma d’insertion social qui définira sur 10 ans la politique sociale par l’activité économique, la DSFE donnera une aide alimentaire, le SEFI donnera une formation mais les structures d’insertion sociale par l’activité économique – les fameuses SISAE – s’occuperont d’insérer les personnes les plus éloignées de l’emploi. Pourtant, le risque encouru n’est-il pas que ces associations déjà dépendantes des aides publiques soit de futurs gouffres financiers pour le Pays ?
Votre sésame pour accéder au plein emploi consiste non pas à doper la croissance économique mais à faire agréer par le Président du Pays pour une durée de 5 ans ces structures d’insertion sociale avec des conventions d’objectifs triennales qui feront l’objet de contrôles des services sociaux du Pays. Mais quels seront les moyens humains alloués par le Pays au suivi de ce nouveau dispositif à l’heure où les effectifs du service social sont insuffisants et manquent d’agents de cadre B, voire de cadre A, afin d’assurer le suivi administratif et financier des conventions, et les contrôles in situ dans ces associations ?
Vous comptez également convertir des coopératives, sociétés commerciales, mutuelles, fondations en structures d’insertion sociale par l’activité économique dès lors qu’elles ne distribuent pas de dividendes à ses actionnaires et qu’elles interviennent dans des domaines aussi variés que l’agriculture, la pêche, le sport, l’éducation, la santé, la culture, le transport et la logistique.
À toucher à de nombreuses sphères de l’économie locale, l’on se demande ce que devient le vrai secteur productif privé de notre Pays, soumis à une telle concurrence d’autant que votre texte permet aux SISAE d’accéder à des marchés publics réservés et à des activités commerciales, tout en éligibles aux dispositifs d’aides à l’emploi et cela sans conditions d’effectifs, sans limitation du nombre de contrats aidés, sans obligation à terme de recrutements classiques en CDD ou CDI. N’est-ce-pas de la concurrence déloyale vis-à-vis d’entreprises privées astreintes à des obligations déclaratives, fiscales et d’embauche ?
En somme, Madame la ministre, vous voulez produire de la croissance économique et de l’émulation concurrentielle avec du social subventionné, au détriment de l’entreprenariat privé. L’insertion sociale de votre entière compétence et l’insertion économique des personnes sans emplois de la compétence du ministre en charge du travail sont cependant deux choses totalement différentes et m’amène à vous interroger sur l’efficacité et l’effectivité réelle de ces Structures d’Insertion Sociale par l’Activité Economique. Si l’insertion sociale peut être un préalable pour les exclus du système scolaire ou de la vie en société, l’insertion économique implique « d’intégrer une entreprise » et de cotiser à la CPS. Aider socialement les sans-emplois c’est bien mais leur trouver un vrai emploi dans le secteur économique productif c’est mieux et souhaitable sur le long terme.
Dans son avis N° 64/2021 du 20 mai 2021, le CESEC notait à juste titre l’absence de données statistiques, tant qualitatives que quantitatives, relatives aux besoins d’insertion par l’activité économique en Polynésie française. De même, il manque des indicateurs chiffrés justifiant de la réelle intégration dans le circuit économique des personnes suivies par les structures actuelles d’insertion sociale. Combien de création de petites entreprises, de prises de patente, de recrutement en CDD ou CDI de personnes sans emploi suivies par ces organismes associatifs ?
Disposer de ces données, Madame la ministre, est pourtant un préalable indispensable à la présentation de ce projet de loi du pays. Or, vous faites l’inverse. Vous partez de revendications spécifiques exprimées par des structures d’insertion sociale au lieu de partir d’objectifs de politique globale préalablement définis par votre gouvernement. De plus, en prévoyant de sortir ce dispositif du Code du travail, vous entreprenez des modifications intrinsèques du Code du travail sans consultation préalable des partenaires sociaux, que ce soient les syndicats patronaux comme de salariés, comme cela se fait habituellement dans le cadre de rencontres tripartites avec le ministère du travail.
Enfin, cette nouvelle mesure s’adresse particulièrement aux personnes bénéficiaires d’aides sociales depuis plus de 6 mois ; en situation de risque ou de marginalisation ; placées sous mains de Justice ; aux mineurs de seize ans et plus en rupture familiale et aux personnes venant d’achever une période d’incarcération ou de désintoxication. Mais, ces publics ont besoin avant même leur insertion professionnelle d’une remise à niveau scolaire concernant la lecture, l’écriture, les mathématiques, le savoir-être. Or, les structures d’insertion sociale par l’activité économique ne disposent pas forcément de personnels suffisamment formés pour encadrer ces publics.
En conclusion, ce projet de texte est une tentative de transposer au plan civil le Régiment du service militaire adapté mais sans l’encadrement strict et continu du public accueilli et sans aucune indication budgétaire fournie du coût de cette mesure nouvelle alors les dispositifs actuels des CAE, CAE PRO, CAES et CIS coûtent près de 3 milliards de Francs pour 10 659 bénéficiaires en 2020. Au vu des arguments que je viens de développer, le Tavini Huira’atira s’abstiendra sur ce projet de loi de pays.
Je vous remercie de votre attention. Mauruuru i te faarooraa mai !
Mme Éliane TEVAHITUA