INTERVENTION
- Intervenante du groupe Tavini Huiraatira : Mme Éliane TEVAHITUA
- Rapport n° 21-2021 du 18/02/2021
- Lettre n° 528/PR du 22/01/2021
- Temps de parole : 10 mn
- Consigne de vote : Favorable
DOCUMENTS
QUATRIEME SÉANCE DE LA SESSION ADMINISTRATIVE DU 18 MAI 2021
Projet de délibération portant dénomination des parcelles cadastrées section AZ, nos 3, 4, 9, 10, 11, 12, 13 et 14 sises à Papeete, « Tahua Tumarama »
Seul le prononcé fait foi
Chers collègues,
TAHUA TÜMARAMA en lieu et place de l’« Esplanade JacquesChirac », tel est le projet de délibération qu’il nous est proposés d’adopter aux motifs de « redonner toute sa valeur historique à cet espace, mais aussi à la toponymie et aux traditions orales qui s’y attachent ».
Par conséquent, j’aurais recours à ces mêmes références culturelles pour exprimer le vote très favorable de mon groupe politique à ce projet de délibération.
Le toponyme TÜMARAMA que nous nous plaisons aujourd’hui à utiliser, provient de l’ancien marae TÜMARAMA sis à PÄ’ÖFA’I, édifié depuis la nuit des temps par la confédération clanique TE- ’ORO’PA’A1 quand celle-ci dirigeait cette portion de terre devenue aujourd’hui partie intégrante de la ville de Papeete.
Marae très ancien, il existait déjà à l’époque où Tamatoa 1er exerçait sa suprématie sur Raiatea et l’ensemble des Îles sous le Vent à la fin du 17ème siècle, entre 1676 et 1713. Durant son règne :
« … un grand-prêtre d’Oro vint à Tahiti, accompagné de ses deux frères et de sa sœur. Ils apportèrent avec eux une pierre de Taputapu-atea pour l’installer dans un marae à Tahiti. Leur grande pirogue Patarava avait été construite pour l’occasion sule marae des constructeurs appelé Tahiri-a-manu. Elle était décorée de corde sacrée et ainsi douée de grande influence et de pouvoir magnétique. Les visiteurs apportèrent aussi, avec eux, des offrandes appropriées pour les Dieux tahitiens et les chefs… Alors qu’ils se préparaient à porter les présents aux Dieux du marae Tû-marama consacré au Dieu Tû et qui se trouvait en face de la passe de Papeete par laquelle ils étaient rentrés, les guerriers de Te-oropaa, voyant la pirogue amarrée près du rivage, s’apprêtèrent à la saisir, mais la sœur du prêtre invoqua à haute voix l’aide d’Oro pour délivrer des guerriers. Au même instant la pirogue et ses occupants furent élevés dans les nuages et portés jusqu-à Opoa par un fort vent…»
Cette première tentative avortée de débarquement et d’installation des prêtres d’Oro à Tahiti nous est relatée par Teuira Henry.
Pourquoi avoir choisi le marae TÜMARAMA pour y fonder le premier marae Taputapuatea de Tahiti et ainsi introduire le culte du dieu Oro ?
En raison de l’importance majeure de ce site cultuel. En effet, Tahiti était connu des anciens Hawaiiens sous l’appellation Kahiki-Kû ou « Kahiki-honua-Kele lorsque celle-ci se sépara de Rai’atea » tandis que ses propres habitants se plaisaient à l’appeler Tahitinui a Tu, Tahiti a Oropa’a ou Tahiti-manahune.
« La légende rapporte que Tahiti faisait autrefois partie de Havai’i et que, changée en un poisson vivant, une partie de l’île se déplaça jusqu’à sa position actuelle ».
C’est le dieu Tü, fils et « artisan de Ta’aroa, qui guida le poisson sur son parcours ; il se tenait sur sa tête, pendant qu’il le dirigea vers l’Est » selon Teuira Henry.
Le marae TÜMARAMA dédié au dieu Tü a sans doute été érigé par les clans manahune qui participèrent à la migration depuis Opoa de la célèbre rebelle Terehëamanu.
La passe par laquelle les émissaires de Taputapuatea sont rentrés, s’appelle aujourd’hui « passe de Papeete ». Mais jusqu’au milieu du 19ème siècle elle s’appelait FARE-RÖ car cette passe faisait l’objet d’une surveillance vigilante de la part des guerriers TE-’ORO’PA’A depuis leur poste de gué sur la plage ou depuis les collines environnantes. Assimilés à des fourmis spartiates, ils guettaient toute embarcation entrant dans la baie.
Il est à noter que quelques décennies plus tard le culte du dieu Oro finira par s’établir à proximité. NANU’U, le fare arioi de Pare s’implantera en bord de mer sur la rive gauche de la rivière VAI’ETË .
Aujourd’hui, il se trouverait à quelques pas de l’actuelle esplanade TÜMARAMA à l’emplacement de l’immeuble Stuart sur le boulevard Pomare devant l’assemblée. L’on ne peut parler de la dénomination TÜMARAMA sans évoquer l’histoire mouvementée de l’espace territorial PÄ’ÖFA’I dont le nom est lui seul une allusion évidente au mur (pä) de pierres (‘öfa’i) de ce marae.
En 1852 :
1- Tahiti est sous protectorat français depuis 10 ans. La terre PÄ’ÖFA’I figure dans le registre officiel des terres de chefferies de Tahiti et Moorea en tant que terre de chefferie de Faaa. Elle s’étend de VAI’AITU jusqu’à VAITITÄRAVA.
C’est-à-dire aujourd’hui depuis la clinique Paofai et le supermarché annexe jusqu’à la rivière TIPAERU’I ; laquelle rivière porte dans sa portion proche de l’embouchure le nom de VAITÏTÄRAVA car lors de ses crues, elle sort de son lit pour inonder, s’étaler (tïtärava) sur les berges. Quant à VAI-’AITU c’est littéralement la rivière du fils de dieu.
En l’occurrence, il s’agit d’une allusion métaphorique au dieu Tü-te-ra’imarama, fils du dieu Ta’aroa et dieu tahitien de la guerre. VAI’AITU est la source marécageuse à proximité duquel se trouvait le marae TÜMARAMA dédié au dieu Tü-te-ra’i-marama. Une de seémanations physiques était l’oiseau Porzanna tabuensis ou meho qui avait la particularité d’avoir les yeux et les pattes rouges et un plumage entièrement noir .
D’où le toponyme MARAE-MEHO, autre nom de ce marae qui figure encore dans les extraits cadastraux de la Direction des Affaires Foncières.
2-Toujours en 1852, le 26 juin, dans le livre des déclarations de terres de Faaa, la terre PÄPOFA’I revendiquée par Pömare V figure en premier. PÄPOFA’i fait encore partie de Faaa et s’étend de la grande limite de Pare jusqu’à la terre VAI’AITU et de la plage jusqu’à la terre TE’APU’U .
Ce serait aujourd’hui le territoire compris entre l’avenue Pouvanaa a Oopa et la clinique Paofai au droit duquel se trouve la colline TE’APU’U laquelle forme les premiers contreforts du Mont URURÄ dont le toponyme évoque le nombre considérable (uru) d’ornements commémoratifs (rä, unu) placés dans l’ancien marae TÜMARAMA.
Ces bois sculptés peints en rouge suggérant une silhouette humaine commémoraient les chefs et les guerriers morts de TE-OROPA’A. L’autre dénomination du Mont URURÄ est ORO’URA qui désigne les bouquets (oro) de plumes rouges (‘ura) habillant les divinités du marae TÜMARAMA.
De plus, la terre PÄPOFA’I a pour autre nom VAITÏÄREA10 qui fait allusion à un cours d’eau. Le seul cours d’eau y figurant est la rivière APA’ATARAO qui draine plusieurs petits affluents et se jette comme sa voisine VAI’AMI, portion terminale de la rivière VAIHI, dans la bai de NANU’U. Le vieux terme apa’atarao désigne la pièce de bois qui forme le corps d’une idole enveloppée dans un tapa en murier (aute) Broussonetia papyrifera fabriqué exclusivement par des hommes et ornée de plumes rouges. Il ne peut être abrité que dans le fare-iamanaha du marae TÜMARAMA.
3-Toujours en 1852, cette fois-ci dans le livre des terres du district de Pare apparait en premier la terre TIARA’AMOARI13 , plus exactement TI’ARA’A-MO’A-ARI’I, le sanctuaire sacré qui consacre les chefs, qui n’est autre que le marae TÜMARAMA.
Cette terre inscrite au nom de Pömare s’étend depuis le banyan sur la plage jusqu’à l’église à TENIUPAOPAO et « depuis la plage jusqu’à la montagne rouge au-dessus ». Aujourd’hui elle se situerait entre le banyan rescapé se trouvant dans le parking de la clinique Paofai et le temple protestant Siloama construit sur la terre TENIUPAOPAO.
C’est tout l’espace tapu occupé par le marae et ses dépendances. Le banyan (‘örä) était un arbre sacré pour nos ancêtres, planté sur ou à proximité d’un marae. Il est considéré comme « originaire de la lune », lequel astre se dit marama en tahitien ancien. « Le tapa fabriqué à l’aide de l’écorce de ora était considéré comme le plus propre à envelopper les grandes idoles du marae…» pour citer Teuira Henry.
Quant à TENIUPAOPAO, c’est littéralement le tronc de cocotier (te niu) sculpté (paopao). C’est par conséquent une effigie divine du marae. En résumé, le marae TÜMARAMA bien que détruit à l’implantation de l’Évangile, continue d’imprégner tout le territoire allant de l’actuelleavenue Pouvana’a a Oopa jusqu’à la rivière TIPAERU’I, puis de la passe FARE-RÖ jusqu’aux cimes des montagnes, cela grâce aux toponymes précités qui lui sont rattachés : PÄ’ÖFA’I, PÄPOFA’I, VAI’AITU, URURÄ, ORO’URA, MARAEMEHO, VAITÏÄREA, TI’ARA’AMO’AARI’I, TENIUPAOPAO, APA’ATARAO.
Faire revivre le toponyme TÜMARAMA à la pointe AINAPARE est un bel hommage à notre Histoire. Mais il n’est pas anodin dès lors qu’un marae commémoratif des victimes des essais nucléaires y siège depuis le 2 juillet 2006 grâce au président TEMARU.
Ce lieu de mémoire des 193 expérimentations nucléaires commises par la France entre 1966 et 1996 réunit symboliquement les populations de nos 5 archipels. Aujourd’hui, les unu commémorent non plus les guerriers et chefs morts de TE-OROPA’A mais des victimes polynésiennes des expérimentations nucléaires françaises.
De plus, il est prévu qu’une grande pirogue construit à Opoa, berceau du marae Taputapuatea, vienne prochainement et définitivement accoster sur cette esplanade TÜMARAMA.
Symbolisera-t-il la réconciliation définitive entre Opoa et le Tahiti-Manahune de Terehëamanu ?
Gageons qu’il ne subisse pas le même accueil que celui réservé il y a plusieurs siècles à la grande pirogue PÄTARAVA des prêtres d’Oro.
En conclusion, gardons-nous de faire du révisionnisme historique.
Rendons à César ce qui appartient à César.
Ce marae n’a pas été édifié en hommage aux ari’i Tü et Marama – aussi prestigieux qu’ils aient pu être – mais au dieu TÜ-TE-RA’I-MARAMA ; lequel fixé à la proue des pirogues doubles guida le poisson Tahiti de Terehëamanu et des manahune quand il se sépara de Ra’iatea. Les ari’i Tü et Marama arrivèrent plusieurs générations après.
Aujourd’hui, TÜMÄRAMA sera pour la postérité, la lumière (märama) qui irradie vers le ciel (tü te ra’i) comme les flashes des explosions nucléaires françaises dont les conséquences sanitaires, environnementales et sociales n’en finissent pas d’empoisonner et de détruire à petits feux le Peuple Ma’ohi.
Cette dénomination commande que toute la lumière, la transparence soient faites dans l’évaluation des préjudices qu’ont subi et continueront de subir notre Peuple durant les 25.000 ans de la demi-vie du plutonium radioactif présent inexorablement dans notre environnement.
MERCI Fa’aterehau d’avoir fait ce choix toponymique approprié qui concilie l’ancien monde de nos ancêtres et le monde moderne d’aujourd’hui !
Mme Éliane TEVAHITUA