INTERVENTION
Intervenant du groupe Tavini Huiraatira : Mme Éliane TEVAHITUA
Rapport n° 38-2021 du 22/04/2021
Lettre n° 1954/PR du 18/03/2021
Temps de parole 10 mn
Consigne de vote Abstention
DOCUMENTS
DEUXIEME SÉANCE DE LA SESSION ADMINISTRATIVE DU 29 AVRIL 2021
Projet de délibération portant approbation de la convention triennale de coopération 2021-2023 entre la Polynésie française et l’Autorité de sûreté nucléaire
Seul le prononcé fait foi
Chers collègues,
Notre institution examine pour la cinquième fois en 12 ans un projet de délibération approuvant la convention triennale de coopération 2021-2023 entre la Polynésie et l’autorité de sûreté nucléaire (ASN) sans que l’histoire nucléaire de notre Pays ne soit évoquée et n’ait fait l’objet d’un partenariat spécifique avec l’État comme si cette histoire n’avait jamais existé.
Les rapporteures de ce texte pourront rétorquer que nous sommes dans le domaine du nucléaire civil. Mais les radiations qu’elles proviennent d’applications civiles ou militaires sont exactement les mêmes et se mesurent de la même façon.
Pourquoi le luxe de précautions réglementaires encadrant l’usage médical des rayonnements ne s’applique-t-il pas aux conséquences résultant de l’usage militaire des rayonnements infligés aux cobayes polynésiens de 1966 à 1996 ?
L’ASN se présente comme une autorité administrative indépendante et soumise à aucune autorité hiérarchique que ce soit celle du Président de la République, de l’exécutif ou du législatif.
Composé de 5 commissaires dont son président, le collège de l’ASN est nommé pour 6 ans non révocables pour des fonctions plein temps et « en toute impartialité sans recevoir d’instruction du Gouvernement ni d’aucune autre personne ou institution ».
Mais, cette impartialité est relative lorsque 3 de ses commissaires sont nommés par décret du Président de la République française et les deux autres nommés par les président de l’assemblée nationale et du Sénat.
Il en est de même de son indépendance alors que l’ensemble de ses moyens financiers proviennent du budget de l’État. Chargée de « protéger le public et l’environnement des risques liés à l’utilisation de l’énergie nucléaire », l’ASN, succursale étatique, veut nous protéger des rayonnements ionisants émis par les appareils hospitaliers mais ferme obstinément les yeux et devient muette et amnésique quand il s’agit des risques induits par 30 années d’activités nucléaires militaires en Polynésie, autrement plus graves et dangereux que les séances de radiothérapie au CHPf !
Pour un pays qui a reçu à l’insu de son plein gré 193 bombes nucléaires en héritage, c’est un comble, un déni, une négation du fait nucléaire traduisant le peu de considération de l’État vis à vis du Peuple ma’ohi.
Pourtant notre peuple n’a jamais failli à venir défendre et mourir pour la France quand elle fut envahie au cours des deux guerres mondiales du 20ième siècle et encore aujourd’hui de jeunes polynésiens s’enrôlent dans les armées là où les jeunes métropolitains font défaut. Le nucléaire civil en Polynésie est en réalité la brindille d’herbe qui cache la forêt des nuisances sanitaires, sociales et environnementales engendrées par les expérimentations nucléaires françaises auxquelles les Polynésiens n’en finissent pas de payer chaque année un lourd tribut en maladies radio-induites.
Ce déni hélas concerne aussi nos services de santé qui se préoccupent de « tout ce qui concerne la protection des travailleurset des malades » mais uniquement dans le cadre « de la radiothérapie et des appareils de radiothérapie et les conséquences qui en découlent ».
Par contre, l’utilisation faite des rayonnements ionisants militaires ne les concernent aucunement pour une question de champs de compétences ! Il faudra encore combien de Polynésiens cancéreux et morts pour que cela devienne leur préoccupation majeure ?
La parution d’actualité du livre « Toxique » apporte la preuve d’un mensonge d’État aux Polynésiens qui doutaient encore à croire à l’ampleur et à la pérennité de la contamination.
Quand le 17 juillet 1974, la France procède à son « 41e essai nucléaire atmosphérique baptisé Centaure, depuis l’atoll de Mururoa située à plus de 1 000 kilomètres de Tahiti… rien ne se passe comme prévu.
L’essai est un échec du point de vue technique, le champignon atomique s’élève moins haut que prévu – 5 200 mètres au lieu de 8 000 mètres – mais surtout il ne prend pas la direction prévue par les autorités françaises ».
La modélisation informatique de la trajectoire heure par heure du nuage atomique de Centaure a dévoilé à la face du monde et des Polynésiens « qu’au lieu de partir vers le nord et se disperser dans le Pacifique comme prévu, il se dirige en ligne droite vers Tahiti. 42 heures plus tard, le nuage touche l’île de Tahiti et les îles Sous-leVent1», contaminant ainsi près de 110 000 personnes sans que l’armée ne les mettent à l’abri.
Ce livre révèle que les données dosimétriques et scientifiques rendues officielles par l’État ont été sciemment sous-évaluées. Il révèle que l’État a failli et menti en Polynésie. Il ne mérite plus la confiance du Peuple polynésien qu’il a trahi.
Depuis le 17 mai 2013, date de la réinscription de notre Pays sur la liste des territoires non autonomes à décoloniser, la France fait lasourde oreille aux injonctions de l’ONU à fournir à son secrétaire général un rapport sur les impacts sanitaires et environnementaux de ses essais nucléaires.
La dernière injonction en date du 10 décembre 2020 dans la résolution 75/112, « demande également à la puissance administrante de faciliter une mission de visite dans le territoire et prie la Présidente du Comité spécial de prendre toutes les mesures nécessaires à cette fin. ».
C’est justement la visite régulière d’une mission d’experts internationaux et indépendants du nucléaire militaire que le groupe Tavini Huiraatira appelle de ses vœux laquelle fera au nom de l’ONU ce que l’autorité française de sureté nucléaire ne fait pas et ne fera pas en Polynésie c’est-à-dire le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection des Polynésiens et de leur environnement.
Ce contrôle extérieur et indépendant se justifie pour les motifs suivants :
1° Ce n’est pas parce que les essais sont arrêtés que leurs effets sur la santé le sont. Les radioéléments qui polluent l’environnement et qui rentrent dans la chaine alimentaire, compte tenu de la très longue durée de vie du plutonium par exemple, peuvent provoquer des cancers chez des gens très longtemps après l’arrêt des essais.
Les radioéléments résiduels éparpillés ont agi et continuent à agir sur des individus nés après les essais et toute la Polynésie a été polluée. Les risques à venir sont évidents résultant de la pollution irrémédiable de la nature ;
2° Les chiffres annuels de la CPS montrent une augmentation du nombre des cancers, par rapport à la population entière de la Polynésie, et tout particulièrement des cancers potentiellement radio-induits. Le ratio (par exemple des cancers du sein par rapport à la population du moment) est très différent en 1996 et 25 cinq ans plus tard, en 2021, ce qui traduit une modification profonde de l’environnement qui est devenu cancérogène.Il est temps que la France assume son passé, sa faute nucléaire et son héritage toxique et lève le secret défense sur toutes ses archives militaires si elle veut faire preuve de réelle transparence.
Pour regagner la confiance du Peuple polynésien, l’État doit prouver sa capacité à réparer et à dédommager financièrement, en nombre » tous ceux – ayants-droit compris – qui ont subi les effets délétères des maladies radio-induites.
L’article 1240 du code civil français ne dit-il pas que « Tout fait quelconque qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » ?
Pour en revenir à ce projet de délibération, le groupe Tavini Huiraatira est tout à fait d’accord que soient présentés en commission législative les bienfaits médicaux de l’utilisation des rayonnements ionisants et la nécessité de leur surveillance attentive. Mais, ce serait faire preuve d’honnêteté intellectuelle de ne pas occulter l’héritage toxique que ces mêmes radiations ont causé sur les Polynésiens et leur descendance lors des expérimentations atmosphériques et souterraines pratiquées de 1966 à 1996 sur les atolls de Moruroa et Fangataufa.
Pour ces raisons évoqués, le Tavini Huiraatira s’abstiendra dans ce vote. Je vous remercie de votre attention.
Mauruuru i te faarooraa mai !
Mme Éliane TEVAHITUA