INTERVENTION
Intervenante du groupe Tavini Huiraatira : Mme Éliane TEVAHITUA
Rapport n° 113-2022 du 04/11/2022
Lettre n° 677/DIRAJ du 8 août 2022
Temps de parole : 11 mn
Consigne de vote : Abstention
DOCUMENTS
CINQUIEME SÉANCE DE LA SESSION BUDGETAIRE DU 17 NOVEMBRE 2022
Avis de l’assemblée de la Polynésie française sur le projet d’ordonnance relatif aux droits des personnes détenues travaillant sous le régime du contrat d’emploi pénitentiaire
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Président ; Mesdames les ministres ;
Notre institution est consultée pour un projet d’ordonnance relatif aux droits des personnes détenues travaillant sous le régime du contrat d’emploi pénitentiaire. Or, le gouvernement français a pris cette ordonnance le 19 octobre rendant superfétatoire son examen par notre assemblée.
Le contrat d’emploi pénitentiaire est inséré depuis le 1er mai 2022 dans le code pénitentiaire au chapitre consacré à l’aide à la réinsertion professionnelle des personnes détenues. Il est étendu à égalité dans tous les établissements pénitentiaires français dont ceux de Polynésie.
Ce contrat ouvre en principe les mêmes droits sociaux que celui d’un salarié du secteur public métropolitain qu’il soit fonctionnaire ou contractuel. Ces droits sont l’affiliation à la sécurité sociale, l’assurance vieillesse, la retraite complémentaire publique, l’assurance chômage et les assurances maladie, maternité, invalidité, décès, accidents du travail et maladies professionnelles. Outre des mesures de lutte contre les discriminations et le harcèlement, ce projet d’ordonnance prévoit la tenue d’un compte personnel d’activité, le bénéfice de la médecine du travail en détention et des aides à l’insertion tels que le dispositif d’insertion sociale par l’activité économique. Or, l’assurance chômage, le compte personnel d’activité et les prestations sociales telles que l’assurance-vieillesse, les indemnités journalières en cas de congés maternité ou d’accident du travail et de maladie professionnelle, sont inexistants ou ne s’appliquent pas en Polynésie française.
Force est de constater que l’application de cette ordonnance en Polynésie met en exergue, une fois de plus, le cadre exigu du statut d’autonomie qui régit notre pays. En effet, bien que la collectivité polynésienne soit statutairement compétente en matière de droit du travail, la loi organique consacre la compétence exclusive de l’État sur les établissements pénitentiaires et en particulier sur le travail pénitentiaire.
Cette exclusivité a été réaffirmée le 12 novembre 2012 (avis n° 357533) par le Conseil d’état qui déclare l’État seul compétent vis-à-vis de ses agents publics dont les détenus salariés qui travaillent « dans l’enceinte des établissements pénitentiaires ou pour un service de l’État » avec un contrat d’emploi pénitentiaire. C’est ainsi que même les inspecteurs du travail polynésiens ne peuvent faire des contrôles dans une prison ou un service de l’État (avis du Conseil d’État n° 404232 du 7 décembre 2021). Par contre pour les détenus qui travaillent pour « des personnes morales ou des sociétés commerciales de droit privé », leur contrat relève à priori du droit du travail polynésien.
Cette ordonnance est censée passer devant le Parlement français dans les 6 mois suivant la publication de l’ordonnance c’est-à-dire jusqu’à mi-avril 2023. Nos 5 parlementaires polynésiens parmi les 925 parlementaires nationaux (348 sénateurs et 577 députés) seront -ils en mesure de changer le contenu de cette ordonnance lors du passage à l’Assemblée nationale et au Sénat du projet de loi ratifiant ladite ordonnance ? Telle est la question !
Dans cet avis favorable sous réserve, à quoi bon rappeler les articles 13 et 14 de la loi organique et la compétence du Pays en matière de droit du travail puisque seul l’État est compétent dans ses services ou dans ses établissements publics administratifs en Polynésie ? Est-il besoin de préconiser à l’État d’édicter ses propres règles en faveur des détenus employés dans ses établissements pénitentiaires et services ? Pourquoi rappeler l’avis du Conseil d’État sur l’absence de pouvoir de contrôle des inspecteurs du travail polynésiens dans les établissements pénitentiaires et de la nécessité pour l’État de recourir à un inspecteur du travail relevant duministère chargé des territoires d’outre-mer ? Cela relève de l’autoflagellation que le Tavini refuse. Ce n’est pas une énième réforme statutaire qui résoudra ces situations préjudiciables aux intérêts de notre pays, mais un véritable processus de décolonisation et d’accession à la pleins souveraineté politique de Ma’ohi-nui qui nous permettra de traiter d’égal à égal avec la France.
Au vu de ces éléments, j’appelle le groupe Tavini Huiraatira à s’abstenir sur cet avis favorable.
Je vous remercie de votre attention. Mauruuru i te faarooraa mai !
Mme Eliane TEVAHITUA