INTERVENTION
- Intervenante du groupe Tavini Huiraatira : Mme Éliane TEVAHITUA
- Rapport n° 86-2020 du 18/09/2020
- Lettre n° 4365/PR du 20/07/2020
- Temps de parole : 10 mn
- Consigne de vote : ABSTENTION
DOCUMENTS
SESSION BUDGÉTAIRE – 2E SÉANCE DU 24/09/2020
RAPPORT N° 86-2020 RELATIF À UN PROJET DE DÉLIBÉRATION RELATIVE À LA DEMANDE DE RECONNAISSANCE PAR L’ÉTAT. DES TITRES À FINALITÉ PROFESSIONNELLE PRÉPARÉS EN POLYNÉSIE FRANÇAISE ET DÉLIVRÉS PAR LE MINISTRE EN CHARGE DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE
Monsieur le président,
Pour la septième fois, notre institution est saisie d’une demande de reconnaissance par l’État de titres professionnels polynésiens.
Précédemment, 48 titres ont fait l’objet de demandes de reconnaissance et 40 ont été agréés.
Aujourd’hui, il s’agit de 9 titres professionnels locaux arrêtés en Conseil des ministres au sujet desquels le Pays souhaite entamer une demande d’agrément auprès de l’État.
Qu’est-ce qui justifie cette démarche? La raison revient à l’article 14, alinéa 13, du soi-disant statut d’autonomie de la Polynésie qui assoit la compétence exclusive de l’État français en matière de « collation et de délivrance des grades, titres et diplômes nationaux ».
Toutefois, la loi de programme pour l’Outre-mer du 21 juillet 2003 concède à la collectivité polynésienne la possibilité de faire reconnaître par l’État les diplômes ou titres à finalité professionnelle préparés et délivrés localement.
Par conséquent, si les conditions de création et d’organisation de ces diplômes et titres professionnels locaux sont bien énoncés par le code du travail polynésien, leurs conditions de reconnaissance sont, elles, fixées par le code de l’éducation métropolitain.
Dans ce cas de figure, la soi-disant autonomie de la Polynésie s’arrête aux portes de la formation professionnelle.
Ainsi, toute procédure de reconnaissance initiée en Polynésie vise à attester que les titres professionnels délivrés localement octroient les « mêmes compétences, aptitudes, connaissances et conditions de délivrance que ceux délivrés par l’État ».
Car, sans cette reconnaissance les transformant en diplômes français, les titres locaux ne permettent pas à leurs titulaires de passer des concours, quand bien même ils garantissent l’acquisition de compétences avérées et les qualifications professionnelles permettant d’exercer un métier.
Si cette reconnaissance par l’État peut paraître logique pour les concours de la fonction publique d’État, cela l’est moins pour les accès aux emplois des fonctions publiques territoriales et communales polynésiennes.
C’est cela, la vraie réalité en Polynésie non-autonome ! Dans le rapport de présentation du présent projet de délibération, cette reconnaissance nous est vendue comme « un avantage pour les bénéficiaires dans la mesure où leur qualification sera reconnue sur l’ensemble du territoire de la République française, voire sur celui de l’Union européenne ».
Excusez du peu ! C’est à croire que les peintres en bâtiments polynésiens, les agents de propreté et d’hygiène polynésiens, les ouvriers du paysage polynésiens se formeraient pour aller travailler en France ou dans l’Union européenne. Ce serait plutôt l’inverse qui se passe.
De plus, la procédure est compliquée, longue, hasardeuse pour des formations à des métiers basiques, de catégories C et D.
Elle est surtout énergivore pour le CFPA. Elle nécessite du Président de la Polynésie de transmettre au représentant de l’État une demande de reconnaissance motivée par des référentiels professionnels copiés-collés sur ceux de l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes. Cette transmission est accompagnée de la présente délibération une fois adoptée par l’assemblée.
Cette première étape franchie, c’est au tour d’un intermédiaire, en la personne du haut-commissaire, d’adresser ledit dossier au ministre métropolitain en charge de la formation professionnelle, accompagné de son avis.
Une fois le dossier à Paris, le ministre concerné dispose théoriquement de quatre mois pour décider de reconnaître ou non les titres proposés par arrêté et parfois de ne pas donner suite à la demande de la Polynésie.
C’est ainsi que les sept titres professionnels examinés à l’assemblée le 5 juillet 2018 et transmis à Paris ont été perdus dans les dédales ministériels et ne sont pas reconnus par l’État. Ils demeurent néanmoins des titres locaux parfaitement fonctionnels.
Lors de son examen à la commission du travail et de l’emploi le 15 septembre dernier, les membres ont fait le constat unanime de la longueur des procédures de reconnaissance des titres professionnels.
Ils ont également appris que toute modification des référentiels professionnels en France contraint à opérer la même modification en Polynésie et refaire toute la procédure administrative dans son intégralité.
Concernant les neuf titres en question, entre le moment où les référentiels de ces neufs titres ont été changés en mars 2019 au Répertoire national des certifications professionnelles et le moment où les mêmes titres préparés et modifiés en Polynésie soient reconnus à ce registre, pratiquement deux ans s’écouleront en raison de la lenteur administrative des procédures. Pendant ce laps de temps, ces titres peuvent évoluer au Registre national.
Pour les neuf titres présents, le directeur du CFPA espère qu’ils seront inscrits au Registre national en début d’année 2021. Il a précisé lors de la commission que : « Ces titres ne seront valables que trois ans puisque, dans trois ans, ils seront remodifiés en métropole et il va falloir que l’on refasse la même procédure, et j’en ai 46 comme ça à faire. (…) Donc, la difficulté que je rencontre, c ‘est d’arriver à suivre les 44 titres qui ont été faits au fur et à mesure. »
À l’heure actuelle, beaucoup de titres polynésiens ne sont plus reconnus par ce Registre national, mais cela n’est pas un obstacle à leur inscription en modules de formation du CFPAPour résumer, cette procédure de reconnaissance est une vraie « usine à gaz » dont la mise en œuvre a pour conséquence de compliquer des titres professionnels dont les référentiels le sont déjà suffisamment… Dans ce cas, pourquoi persister à faire compliqué quand on peut faire simple?
Quel intérêt à poursuivre ces demandes de reconnaissance lorsque les demandeurs d’emplois titulaires d’un titre professionnel uniquement polynésien n’ont pas plus de difficultés à l’embauche que ceux détenteurs d’un titre reconnu par l’Etat et qu’ils bénéficient d’un salaire identique ?
Ne vaudrait-il pas mieux créer des titres professionnels locaux adaptés aux particularités de notre pays au lieu de faire du copié-collé de titres conçus et rédigés à 20 000 km de notre pays à partir des besoins hexagonaux spécifiques et pour des centres de formation professionnels métropolitains ?
Le Tavini dénonce ce système de reconnaissance nous obligeant à chaque fois à aller quémander celle-ci auprès de l’Etat.
Nous comprenons que le CFPA est obligé de suivre ces procédures chronophages.
Mais, pour autant, nous allons nous abstenir sur ce dossier afin de ne pas entraver ces demandes de reconnaissance rendues nécessaires dans notre système non-autonome actuel.
Mme Éliane TEVAHITUA