INTERVENTION
- Intervenante du groupe Tavini Huiraatira : Mme Éliane TEVAHITUA
- Rapport n° 85-2020 du 18/09/2020
- Lettre n° 6710/PR du 14/10/2020
- Temps de parole : 7 mn / 17 mn
- Consigne de vote : Pas de vote
DOCUMENTS
SESSION BUDGÉTAIRE – 4E SÉANCE DU 29/10/2020
Débat d’orientation budgétaire préalable à l’examen du budget primitif de l’exercice 2021
Chers collègues,
Le débat d’orientation budgétaire (DOB) qui prélude au vote du budget 2021 prend cette année une tournure particulière en raison des impacts économiques et sociaux de la pandémie de la Covid-19 imprévisible il y a un an.
Notre isolement géographique au centre du Pacifique Sud aurait pu prémunir notre pays d’une deuxième vague covidique à l’instar de la Nouvelle-Calédonie et de la Nouvelle-Zélande. Ce n’est pas le cas.
Les autorités de l’Etat, avec le consentement des autorités du Pays, ont fait le choix de rouvrir nos frontières aériennes le 15 juillet dernier sans maintenir la mise en quatorzaine des passagers afin de permettre les mutations de fonctionnaires expatriés et relancer l’activité touristique.
Cette décision lourde de conséquences a été prise au détriment de la préservation de la santé des Polynésiens qui paient aujourd’hui et malgré eux le prix de cette seconde vague devenue mortelle.
Preuve en est la progression incontrôlable de la mortalité et de la morbidité imputables à la Covid-19.
Notre pays fait désormais partie du palmarès peu enviable des quatre pays les plus infectés de la planète avec une incidence de 547 nouveaux cas pour 100 000 habitants par semaine.
Les touristes pour lesquels nos frontières ont été rouvertes fuient notre destination qui de « Covid-free » est devenue Covid+.
Quelle ironie du sort pourtant prévisible ! Outre ses coûts sanitaires. et humains, cette pandémie révèle la vulnérabilité de notre modèle économique à la récession. Ainsi, les cinq semaines de confinement (du 23 mars au 29 avril 2020) imposés par l’État au titre de sa compétence statutaire et régalienne en matière de sécurité civile et d’ordre public ont provoqué une perte d’activité économique immédiate et brutale de 34 %, amortie par les services non marchands des administrations publiques.
Dans le secteur des entreprises de transformation, la chute de l’ordre. de 72 % est vertigineuse. Dans le secteur marchand, l’hôtellerie-restauration, le transport aérien, les activités de service aux ménages sont dans la tourmente. Rien que dans ce dernier secteur, 12 500 ETP salariés sont affectés.
La crise économique touche désormais quatre salariés du secteur privé sur 10 et autant chez les non salariés.
Elle précarise 20 000 emplois. La baisse du PIB est estimée par l’IEOM à 10%. De 645 milliards F CFP en 2019, le PIB chute à 580 milliards F CFP fin ‘2020. Pour faire face à cette crise devenue sociale et à défaut d’obtenir le soutien financier de l’État qui est pourtant l’unique décideur en dernier ressort dans la gestion de cette crise, le gouvernement a recouru à un premier emprunt faisant grimper en flèche l’en-cours de notre dette à 113 milliards contre 80 milliards en 2019.
Il faudra 25 ans aux Polynésiens pour éteindre la dette actuelle. Et ce n’est pas. fini car le gouvernement prévoit de contracter un second emprunt de 28 milliards d’ici la fin de l’année.
Soit une dette future dépassant les 140 milliards.
Il est anormal que l’État n’assume pas entièrement sans condition et sans prêt, ces deux emprunts Covid qui totalise 60 milliards, à moins d’une volonté délibérée de sa part d’augmenter. la dépendance financière de notre Pays vis-à-vis de créanciers dont le principal est son agence de développement, l’AFD, cela dans un contexte régional plus que probable d’accession prochaine à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie dans deux ans.
Notre Pays est arrivé à une période charnière où un virus émergent fait s’effondrer les modèles économiques uniquement basés sur la croissance et la consommation comme le nôtre.
Il aggrave la paupérisation de notre peuple. Il met en exergue une fois de plus le fait que c’est l’État qui décide en Polynésie, pas le gouvernement local. Non seulement nous sommes un peuple victime des essais nucléaires mais nous sommes aussi un peuple affaibli par un système économique et social inadapté, un peuple endetté et encore au XXF siècle sous la tutelle d’un État situé à 18 000 km.
Nous refusons d’être un peuple sous perfusion et revendiquons ce pays de plus de 5 millions de km2 dont les droits de souveraineté et de propriété sur toutes ses ressources nous ont été reconnus par la communauté internationale à l’ONU.
Chers collègues, il est temps, je crois, de changer de paradigme statutaire car le statut actuel de fausse autonomie a atteint ses limites. Tous les indicateurs sociaux et économiques du pays sont au rouge.
Il est temps de mettre en œuvre la résolution de l’ONU du 17 mai 2013 sur la décolonisation de la Polynésie. Le processus de décolonisation avec ses consultations référendaires sur l’indépendance, actuellement mis en œuvre en Nouvelle Calédonie, doit être appliqué à la Polynésie.
Il convient de se réunir avec l’État, sous l’égide de l’ONU, pour adopter un agenda de décolonisation à l’instar des Accords de .Matignon-Oudinot-Nouméa.
Ce changement de cadre statutaire devra s’accompagner d’un changement de paradigme économique. Nous rejetons le PIB et ses corollaires de la croissance et de la consommation effrénée comme unique mesure de progrès.
La prospérité d’un pays se mesure également à l’aune du bien-être de ses habitants et de la vitalité de son environnement. Nous souhaitons un développement durable sur le long terme à l’instar de la Nouvelle- Zélande qui consacre l’essentiel de son budget au bien-être de ses habitants. en allouant des milliards au services de santé et à la lutte contre la pauvreté et les violences familiales.
Le gouvernement néo-zélandais souhaite que sa politique ait un impact durable sur le bonheur de ses habitants plutôt que de promouvoir la croissance pour la croissance.
Ce futur modèle économique de notre Pays devra améliorer le bien-être de notre peuple et l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources.
Pour parvenir à cette souveraineté viable et soutenable, une politique de travaux novateurs, une valorisation de nos richesses naturelles et culturelles, la restructuration du secteur touristique, la priorisation de la santé et de l’éducation seront mises en œuvre dans une perspective de croissance verte.
L’idée est de suppléer aux 137 milliards annuels nets des transferts de l’État, au terme du processus pacifique de décolonisation.
Je vous remercie.
Mme Éliane TEVAHITUA