INTERVENTION
- Intervenante du groupe Tavini Huiraatira : Mme Éliane TEVAHITUA
- Rapport nº 114 – 2013 du 08/11/2013
- Lettre n° 6579/PR du 24 octobre 2013
- Temps de parole : 11 mn
- Consigne de vote :
DOCUMENTS
SESSION BUDGÉTAIRE – 5ÈME SÉANCE DU 21/11/2013
Rapport relatif à un projet de délibération portant approbation par l’assemblée de la Polynésie française de la convention Etat/Polynésie française relative au Régiment du service militaire adapté en Polynésie française
Monsieur le président.
Nous examinons aujourd’hui un projet de délibération portant approbation de la convention État – Polynésie française relative au Régiment du service militaire adapté.
C’est l’occasion pour moi de m’exprimer sur le rôle du RSMA en Polynésie. Le RSMA est un organisme militaire dépendant du ministère de l’Intérieur qui fait de la formation professionnelle depuis 1961 à destination exclusive des jeunes en difficultés des départements et collectivités d’outre-mer.
La mission officielle et affichée du RSMA est de faciliter l’insertion dans la vie active des ultra-marins de 17 à 26 ans.
Il s’adresse, en grande majorité à des jeunes hommes en situation d’échec scolaire et en voie de marginalisation, et la formation est dispensée par des cadres militaires.
Ce régiment militaire n’exerce ses talents «pédagogiques» qu’en outre-mer, la France continentale n’est pas concernée par ce programme.
Ce choix orienté spécifiquement vers la jeunesse ultra-marine me laisse pensive et m’interpelle : pourquoi la jeunesse de France, alors qu’elle est plus nombreuse de plusieurs millions et autant en difficultés de réinsertion sociale, n’est pas concernée par cette formation militaire ?
Si les jeunes de France ne sont pas concernés par ce dispositif militaire, quelles seraient les motivations réelles de ce choix ciblé sur les ultra-marins d’autant que le mot armée ne rime pas forcément avec les mots humanisme ou philanthropisme ?
Est-ce que, sous couvert de formation de resocialisation — comme il est dit sur les sites du RSMA— , ce programme militaire n’est-il tout simplement pas une forme d’embrigadement des esprits, sachant que cet embrigadement serait plus facile sur des jeunes en situation d’exclusion, d’échec ou de marginalisation ?
La finalité ne serait-elle pas de produire année après année des citoyens favorables au maintien de la France dans ses territoires ultra-marins ?
Car — il faut sans doute vous le rappeler, chers collègues — sans ses possessions ultra-marines, la France ne serait qu’une simple province européenne, insignifiante sur la carte du monde.
Ou, peut-être, s’agit-il de constituer une réserve potentielle de futurs engagés ultramarins en cas de conflits armés futurs ?
Car même si le RSMA fait de la formation professionnelle, il promeut avant tout le service militaire.
En Polynésie, le RSMA a été mis en place pour la première fois en 1989 à Hiva Oa, aux îles Marquises.
En 1993, il est étendu à d’autres archipels.
Il est actuellement fort de 4 compagnies implantées à Tahiti, aux Marquises et aux Australes, et dirigé par un état-major dédié.
Si à ses débuts le recrutement du RSMA reste anecdotique, il augmente de façon considérable à partir de 2009 pour atteindre 192 incorporés.
Cela est le fait en partie de la détérioration économique en Polynésie mais surtout du lobbying appuyé de ce régiment pour recruter de jeunes Polynésiens en déshérence sociale.
Cette importante manœuvre de montée en puissance découle du plan dénommé SMA 6000 voulu par Sarkozy en 2009.
L’objectif assigné au RSMA de Polynésie depuis Paris est d’atteindre-d’ici 2016 un effectif de plus de 7OO personnes dont 550 stagiaires et 130 techniciens.
Cet objectif politique et militaire est quasiment atteint en 2013 puisque le RSMA forme aujourd’hui plus de 500 stagiaires recrutés principalement dans les quartiers prioritaires ciblés par le CUCS.
Ces stagiaires sont sans diplômes pour 80 % d’entre eux et illettrés à 30 %. 80 % sans le moindre diplôme, et 30 % d’illettrés, c’est-à-dire des jeunes qui ne savent ni lire, ni écrire, ni compter !
Ces chiffres ‘-—je n’en doute pas un instant, chers collègues — ne peuvent que nous interpeller et nous amener à nous interroger sur notre système éducatif.
Car, malgré une école gratuite et obligatoire jusqu’à 16 ans, malgré une scolarité de 13 ans minimum, de jeunes Polynésiens ne possèdent toujours pas les bases élémentaires de la lecture, de l’écriture et du calcul, ce savoir a minima attendu de tout système éducatif !
Ils ne détiennent pas, pour une grande majorité, le moindre diplôme.
A partir de ces quelques chiffres, nous ne pouvons que faire un constat d’échec du système éducatif et de la politique éducative en Polynésie.
Pourtant, la politique éducative détient une place importante car elle concerne des élèves, des parents et des enseignants, c’est-à-dire une grande partie de la population.
Pourtant, c’est un moyen de promotion sociale et un outil de développement, mais pas pour de nombreux Polynésiens issus des couches populaires qui décrochent du système scolaire.
Pourtant, les moyens financiers et humains engagés sont considérables : chaque année, hors université, l’État consacre environ une soixantaine de milliards et le Pays 4 milliards au système éducatif polynésien.
Malgré ces moyens considérables, les taux d’échec sont très élevés dans notre pays.
Pour appuyer mes dires, je ne prendrais que la proportion de bacheliers dans une génération, elle est de 33 % en Polynésie contre 65 % en France.
Cela signifie que, dans une génération de jeunes de même âge, seul un tiers d’enfants polynésiens obtient le baccalauréat alors qu’en France, deux tiers deviennent bacheliers. L’éducation —faut-il le rappeler— est une compétence que se partagent l’État et le Pays.
Mais, force est de constater que les programmes et les diplômes nationaux ne s’accompagnent que d’adaptations limitées et mineures aux spécificités polynésiennes.
Le système scolaire polynésien ne fait que reproduire à l’identique le système scolaire traditionnel français. C’est sans doute cela qui explique l’échec du système !
Pourtant, la charte de l’éducation en 1992 avait eu pour objectif de fixer « les orientations essentielles à partir desquelles la société polynésienne construira au fur et à mesure le système éducatif le mieux adapté à ses besoins et à sa population ».
Cette charte aussi vantait « une éducation pour une société en devenir […j les défis que nous réserve l’avenir nécessitent des hommes formés, préparés à assumer l’évolution des conditions économiques, sociales et culturelles de la société polynésienne ouverte sur l’extérieur. Ils sont capables d’initiatives pour assumer avec imagination et assurance un rôle actif de citoyens responsables, au sein de la communauté ou au sein d’un univers qu ‘ils auront librement défini et accepté ».
Plus de 20 ans après, le constat est accablant.
Alors que des moyens renforcés ont été dévolus aux zones prioritaires, que les enseignants sont bien rémunérés, que des passerelles sont établies entre les filières de formation et des bourses d’études octroyées, les résultats sont mauvais.
L’éducation telle que dispensée dans notre pays a laissé de côté notamment les enfants issus de milieux sociaux populaires et défavorisés.
Je dirai qu’après 132 ans de colonialisme, plusieurs milliers déjeunes, parmi les moins qualifiés et formés, sont sortis prématurément du système scolaire.
Ces jeunes Polynésiens arrivent au SMA pour choisir des filières de formation professionnelle, faute d’avoir trouvé une pédagogie éducative adaptée à l’école. En matière de formation professionnelle, le SMA propose des filières évolutives en fonction des besoins de l’économie locale.
Pour ce faire, le RSMA a passé depuis l’année dernière une convention avec le MEDEF pour mettre en adéquation les formations dispensées par lui avec les besoins du marché du travail et les attentes des chefs d’entreprises.
Après la mise en œuvre du Plan SMA 6000 de Sarkozy et ce partenariat noué avec le monde patronal, une nouvelle étape est franchie par ce régiment sur le marché local de la formation professionnelle. Nous constatons une emprise de plus en plus importante du RSMA et on peut s’interroger sur cette évolution rapide. Le SM A prépare aux métiers d’agent d’entretien, de maçon, d’électricien
Et, en fait, l’offre de formation du RSMA est quasiment identique à celle de notre Centre de formation professionnelle des adultes, établissement public administratif que le Pays a créé en 199pour former toute personne de plus de 16 ans sans qualification afin de les insérer professionnellement et satisfaire les besoins de main-d’œuvre qualifiée des entreprises locales.
Sur plus de 3 000 candidats chaque année, le CFPA forme 8 centaines de stagiaires par an à 26 métiers différents, les mêmes que nous retrouvons au SMA.
Nous savons, pour avoir approuvé dernièrement en août en Commission permanente son compte financier de l’exercice 2012, que le CFPA a la capacité de former 1 500 stagiaires, soit le double de son effectif de stagiaires actuel, mais du fait de la diminution de ses moyens financiers, il ne peut mettre en œuvre la pleine capacité de son recrutement.
Quand le CFPA est en perte de croissance, le SMA, lui, croît et se développe !
Or, vous n’êtes pas sans savoir qu’au niveau du statut d’autonomie qui régit la collectivité, que si l’État est compétent en matière d’enseignement universitaire et de délivrance des diplômes nationaux, l’article 26 précise, lui, que la Polynésie est compétente pour organiser ses propres filières de formation professionnelle.
Le SMA est un moyen de reprise en main d’une compétence dévolue au Pays par l’État.
Le Pays est en train de se faire déposséder de sa compétence en matière de formation professionnelle.
Pour conclure, je dirai que la réinscription de notre pays à l’ON U le 17 mai 2013 constitue pour nous, membres de l’UPLD, une opportunité unique d’amorcer le processus de décolonisation des esprits et du fonctionnement de nos institutions.
Mme Éliane TEVAHITUA