INTERVENTION
- Intervenante du groupe Tavini Huiraatira : Mme Éliane TEVAHITUA
- Rapport n° 20 du 15 04 20
- Lettre n° 201/DIRAJ du 09/04/2020
- Temps de parole : 10 mn
- Consigne de vote : CONTRE
DOCUMENTS
SESSION ADMINISTRATIVE – 1RE SÉANCE, DU 17/04/2020
Rapport relatif à l’avis de l’assemblée de la Polynésie française sur le projet d’ordonnance portant adaptation de l’état d’urgence sanitaire aux collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution et à la Nouvelle-Calédonie
Chers collègues,
Par lettre du 9 avril 2020, le représentant de l’État en Polynésie demande urgemment à l’assemblée de lui faire part de. sa position sur un projet d’ordonnance transmis par les services du Premier ministre le 8 avril 2020.
Ce projet d’ordonnance prévoit d’adapter l’état d’urgence sanitaire occasionné par la pandémie à Covid-19 aux trois collectivités françaises de l’océan Pacifique.
Notre avis ainsi que celui du Congrès de la Nouvelle-Calédonie et de l’assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna doit être rendu dans un délai écourté de 15 jours à partir de sa notification aux présidents des institutions respectives, pour une entrée en vigueur immédiate le jour de sa publication au JORF.
En Polynésie, cette consultation de l’assemblée trouve son fondement juridique dans l’article 9 de la loi organique portant statut d’autonomie laquelle stipule la consultation obligatoire de l’assemblée sur les projets d’ordonnance qui introduisent, modifient ou suppriment des dispositions particulières à la Polynésie » ainsi que sur les projets d’ordonnance pris dans lès matières de compétence régalienne.
La question idoine est de savoir si le présent projet d’ordonnance sanitaire met en œuvre des dispositions relevant de matières de la compétence exclusive de l’État ou s’il empiète délibérément sur des compétences exclusives de la Polynésie ? Si l’article 14 de la loi organique statutaire reconnaît aux autorités de l’État, les compétences en matière de garantie des libertés publiques, de sécurité civile, d’ordre public et de mise en œuvre des moyens de secours nécessaires pour faire face aux risques majeurs et aux catastrophes, l’article 13 octroie aux autorités polynésiennes, la compétence dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l’État par l’article 14.
C’est à ce titre que la santé publique de la population polynésienne est de la compétence du pays et que ce dernier est compétent pour gérer une crise sanitaire liée à une épidémie.
D’ailleurs, sur cette problématique de répartition des compétences entre l’État et le pays, le Conseil d’État dans un avis rendu le 14 mai 2003, a tranché en faveur du pays en rappelant que « la protection sanitaire de la population établie sur son territoire, en particulier en matière… de lutte contre les épidémies et certaines maladies transmissibles » relève des autorités de la Polynésie.
Clairement, la gestion de la crise sanitaire est du ressort de la Polynésie. En dépit de cet avis et de la compétence statutaire de la Polynésie en matière de santé publique, l’état d’urgence sanitaire introduit dans le code métropolitain de la santé publique par la loi du 23 mars 2020 est déclaré par le gouvernement Central «sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités » ultramarines pour une durée de deux mois à compter du 24 mars, sans tenir compte des compétences sanitaires de la Polynésie. Par conséquent, se prévalant du droit d’exception, le gouvernement central applique pleinement en Polynésie l’état d’urgence sanitaire.
À ce titre, le haut-commissaire en Polynésie est habilité à décider des mesures à prendre ; le rôle de « l’autorité compétente en matière de santé publique » en Polynésie, c’est-à-dire le Président de la Polynésie, se réduisant à un rôle consultatif.
Ces mesures exceptionnelles pour la plupart liberticides destinées à enrayer l’épidémie de Covid-19 consistent en :
- la restriction ou l’interdiction de la circulation des personnes et des. véhicules ;
- l’interdiction aux personnes de sortir de leur domicile ;
- la mise en quarantaine des personnes susceptibles d’être affectées par le Covid-19 ;
- le placement et le maintien en isolement des personnes affectées ;
- la fermeture provisoire d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ;
- la limitation ou l’interdiction des rassemblements sur la voie publique ;
- la réquisition de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire ;
- le contrôle des prix de certains produits ;
- la mise à disposition des patients de médicaments appropriés ;
- la limitation de la liberté d’entreprendre ;
- et, enfin, la possibilité de prescrire « […] toute mesure réglementaire relative à l’organisation et aufonctionnement du dispositifde santé […] ».
Si le statut reconnaît la compétence de l’État en matière de sécurité civile et d’ordre public, on comprend mal son immixtion dans le contrôle des prix de produits locaux, dans la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés, dans la limitation de la liberté d’entreprendre et comble de l’ironie dans l’organisation et le fonctionnement du dispositif de santé qui sont des compétences du Pays.
Cela nous en dit long sur les compétences réelles de la Polynésie.
Ce statut d’autonomie conçu sur mesure par l’État ressemble décidément à un marché de dupe. En l’occurrence, dans ce dispositif de l’état d’urgence sanitaire imposé par l’État à la Polynésie, le véritable leader est le haut-commissaire.
Comme nous l’avions dit en commission de la santé, c’est lui « le vrai patron » de la gestion de la crise sanitaire du Covid-19 dans notre pays ; le rôle du Président de la Polynésie se réduisant qu’à un avis consultatif.
De même qu’il ne peut y avoir deux capitaines pour diriger un navire, le seul vrai capitaine du navire polynésien traversant cette crise sanitaire est le haut-commissaire !
Vous comprendrez que devant cette mascarade où l’État s’approprie de manière éhontée des compétences de la Polynésie, le groupe Tavini Huiraatira votera contre cette ordonnance.
Mme Éliane TEVAHITUA