INTERVENTION
- Intervenante du groupe Tavini Huiraatira : Mme Eliane Tevahitua
- Rapport n° 2019/452 de la CTC du 25 novembre 2019
- Lettre n° 8529 :PR du 28 novembre 2019
- Temps de parole : 10 mn
- Consigne de vote :
DOCUMENTS
SESSION ADMINISTRATIVE – 5E SÉANCE DU 06/07/2020
Rapport d’observations définitives de la Chambre territoriale des comptes sur la gestion de la collectivité de la Polynésie française au titre de la gestion des ressources humaines pour les exercices 2010 et suivants
Chers collègues,
Notre assemblée est saisie du rapport d’observations définitives de la CTC relatif au contrôle des comptes et de la gestion de la Polynésie pour les exercices 2010 et suivants.
Ce rapport circonstancié est édifiant à plus d’un titre. Il n’est pas besoin de sortir de Sciences Po pour savoir lire entre les lignes et réaliser que la CTC n’adresse pas un « satisfecit » au Pays pour sa gestion de ses ressources humaines.
Je pourrais, en propos liminaire, tout résumer en indiquant simplement que, malgré deux outils substantiels, à savoir une Direction générale des ressources humaines (DGRH) et une Direction de la modernisation et des réformes administratives (DMRA), il n’y a pas de réelle stratégie construite et structurée dans le secteur des ressources humaines qui soit bâtie sur une vision à long terme.
C’est ce que dénonce la CTC dans son rapport qui couvre une longue période de près de 10 ans et qui lui permet ainsi de produire des analyses avérées. Dans sa réponse à ce rapport, le gouvernement par lettre du 15 novembre 2019 essaye maladroitement « de se raccrocher aux branches », si je puis m’exprimer ainsi.
Mais, cette réponse recouvre surtout un aveu d’échec. En effet, que dit le rapport de la CTC ? La Polynésie française emploie 5 473 agents dans ses services et 2 575 dans ses 14 établissements publics administratifs.
Au total, plus de 8 000 agents émargent au budget du Pays. La réduction du nombre d’agents des services et des établissements est donc indispensable, selon la CTC.
Nous en convenons aussi. Nous connaissons en effet le poids économique, financier et social de cette Administration pléthorique par rapport à la population de Polynésie. Malheureusement, le gouvernement n’a pas formulé une réponse claire et efficace face à ce premier constat.
La politique suivie depuis 2010 l’a été sous le seul aiguillon de la contrainte budgétaire, comme le signale la CTC. Ce n’est pas un choix stratégique délibéré. Il s’en est suivi toute une série d’évolutions lentes, sans décroissance prononcée du nombre d’agents de la fonction publique, malgré des rapports qui pointaient de nombreux emplois redondants et inutiles.
La Chambre relève que la baisse du nombre d’emplois dans les services, constatée entre les années 2012 et 2016, ne doit pas faire illusion : ce n’est qu’une réponse ponctuelle à la rigueur budgétaire du moment et non le fruit d’une politique concertée et spécifique. Pire encore, l’amélioration du contexte budgétaire des années 2015-2016 a coïncidé avec une hausse des effectifs employés, notamment en 2017 et en 2018.
Le gouvernement a donc renoué avec ses anciens démons en pratiquant une politique de recrutement en nombre inutile. La Chambre relève aussi que la digitalisation de notre Administration aurait dû avoir un impact sur la masse salariale où 57 % des agents sont faiblement qualifiés ou employés à des tâches administratives élémentaires. Or, en 2019, on peut constater qu’il n’y a pas eu une telle transformation.
Malheureusement, les caractéristiques négatives qui marquaient l’effectif en 2010, n’ont pas disparu. La sous-qualification n’a pas diminué. Je cite les conclusions de la CTC : « Des surnombres sectoriels importants continuent de côtoyer des sous-dotations chroniques ; des productions de services peu performantes perdurent encore dans plusieurs secteurs (logement, agriculture, action sociale).
Dix ans après le lancement des projets, la validation de la maquette future des effectifs et la définition du périmètre du service public sont encore des chantiers ouverts ». La Polynésie « a continué à vouloir moderniser son administration sans prendre appui sur une redéfinition préalable de son champ d’action et sans la détermination du nombre d’agents utiles dans ce nouveau cadre ».
Le constat est sévère et nous souscrivons aux conclusions principales de la CTC. Il est dommage qu’en 2020, nous devions encore admettre les points ci-après. Je citerai à titre d’exemple : que le rendement des services et des établissements publics administratifs (EPA), y compris le CHPF, soit toujours affaibli par des sureffectifs ; que le taux d’agents en sous-qualifîcation soit encore substantiel ; que le taux d’encadrement reste médiocre ; que le nombre d’agents de catégorie A ne progresse que de 4 % depuis 2010; que les effectifs en fonction dans les services et les établissements, tous statuts confondus, n’aient pas réellement diminué; que l’éclatement en une multitude de services et en 14 EPA ait conduit à la multiplication des procédures et à des circuits administratifs lourds.
Face à ce constat, le gouvernement a tenté de se justifier dans sa réponse datée du 15 novembre 2019. Mais il esquive et ne répond pas au plusjuste des préoccupations et des urgences réelles.
Aux problèmes posés par le sureffectif, au fort taux d’agents sous qualifiés, à la lourdeur des procédures, à un nombre d’établissements publics pléthoriques, à la mise en place d’un système d’information dédié aux ressources humaines (SIRH)…, le gouvernement répond par des mesures de circonstances qui n’ont qu’un impact limité sur les vrais enjeux et qui s’inscrivent en corolaire des problèmes pointés par la CTC.
Ce n’est pas, par exemple, en mettant un accent prioritaire sur des avancées à caractère social qui seront résolus les problèmes de sureffectif des personnels ou de rationalisation du fonctionnement des EPA. comme le gouvernement le préconise dans sa réponse. Il en va de même pour la « stratégie de mutualisation et de transversalité renforcée » de la gestion des services.
Une politique du « tout formation » est certes bénéfique, mais le préalable incontournable reste la réduction et la rationalisation des effectifs.
En conclusion, je vous suggérerai de rester très pragmatique.
Il est maintenant inutile de tergiverser ou de donner dans l’artifice. Je vous invite à prendre en considération les recommandations de la CTC qui sont des suggestions de bon sens. Il est impératif, dans un délai bref, de mettre en œuvre des réformes structurelles et systémiques. Il faut bouleverser les habitudes administratives et bureaucratiques. Enfin, pour terminer mon propos, je soulèverai un point qui n’a été abordé ni par la CTC ni par le gouvernement, celui de l’océanisation des cadres.
Cela ouvre un débat plus vaste : d’abord, celui des conditions d’accès à la fonction publique du Pays ; ensuite, celui de l’encadrement des étudiants polynésiens en milieu universitaire, localement ou à l’étranger, celui de l’attractivité de notre fonction publique pour des diplômés polynésiens, celui d’une éventuelle mise en place d’une politique de « discrimination positive » à l’embauche favorable aux Polynésiens, celui de l’équivalent de « la préférence nationale », celui de l’accès aux fonctions en hiérarchie de cadres polynésiens dans les services et les EPA ; et enfin, celui de l’officialisation de la langue mâ’ohi (NDT, polynésienne).
Madame la ministre, mes chers collègues, je serais ravie d’entamer et de poursuivre ce débat sur ce thème, à votre convenance.
Je vous remercie pour votre attention.
Mme Éliane TEVAHITUA